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La vie rustique

A cette époque là, il n'y avait pas d'autres sources de chaleur que le bois (en campagne poyaudine tout au moins), la cuisinière à bois servait également de chauffage pour la pièce principale, les autres pièces n'étaient pas chauffées, jamais même par temps de gel à -10, -15. Au bout de 3-4 jours il gelait dans les chambres comme dehors ; les plus frileux faisaient chauffer une brique dans le four pour mettre dans le lit à l'emplacement des pieds. L'usage de la brique chaude avait un inconvénient, il lui était reproché de favoriser l'apparition d'engelures, et comme tous les gamins avaient des engelures, il était préférable de se passer de brique. Le plus dur était d'affronter les toiles glacées, il fallait prendre son courage à deux mains et plonger dans le plumard recroquevillé en chien de fusil et se cacher par dessus la tête, en dix minutes les tremblements s'arrêtaient, le sommeil prenait le dessus, le lendemain les plumes étaient imprégnées de chaleur humaine, au point que l'on souhaitait pouvoir y rester, sortir de là-dedans exigeait autant de courage que pour y rentrer : (allez, hop debout, debout, debout, grouillons-nous y'a du pain « sur la planche ») (1).

Le changement de température du dedans du lit avec le dehors pouvait être de 20 degrés ou plus. Par exemple les commis qui couchaient dans un coin de l'écurie aux chevaux où il gelait comme dehors, quand il y avait une chambrette attenante à l'écurie et munie d'une porte, c'était le luxe, dans les grosses fermes dont les bâtiments dataient de la fin du XIXè siècle. Pour les autres, de constructions plus anciennes il n'y avait souvent rien du tout, quelques planches, un bas‑flanc pour protéger le lit et les gars dormaient là, sans faire de manière, au contraire tout fiers de dormir à côté de « ses chevaux ».

Quand nous disons que dans l'écurie aux chevaux il gelait comme dehors cela mérite une explication. Il s'agissait de chevaux de travail qui recevaient une nourriture en conséquence dont une certaine quantité d'avoine de 10 litres à 12 litres l'hiver, quand les journées de travail étaient les moins longues jusqu'à 15 litres ou plus à partir de fin mars quand la journée de travail était de 10 heures.

Comme nous l'avons déjà dit, l'avoine était le carburant de la ferme : « sang végétal de la terre qui n'avait besoin que d'un cheval pour se transformer en liquide rouge vermeil et plein de feu».

Énergie propre, non polluante et renouvelée chaque année.

Seulement à l'inverse du tracteur qui ne consomme que quand il travaille, le cheval mange tous les jours et fait 3 repas par jour avec distribution d'avoine à chaque repas, l'avoine ingérée aujourd'hui fera son effet demain. C'est pourquoi il importe de nourrir le cheval avec la même ration tous les jours, étant entendu que le cheval travaille et dépense de l'énergie, sans cela il y a accumulation de réserves et l'animal devient bouillotte surchauffée, il a trop de sang et court des risques graves de circulation sanguine.

Le « coup de sang » qui peut dégénérer en apoplexie ou infarctus.

Dès les premiers symptômes le remède radical est la saignée pratiquée à la veine jugulaire, il faut enlever 4 ou 5 litres pour soulager le malade en diminuant la pression sanguine.

Les accidents de ce genre étaient à craindre justement en période d'intempéries survenues brusquement.

En période d'hiver les chevaux pouvaient être au labour tous les jours si le temps le permettait, mais en l'espace de 24 heures s'il gelait très fort, la terre était dure comme du béton et la charrue était « à clé » ; et les chevaux au repos forcé (chômage technique) étaient l'objet de surveillance rapprochée du charretier, il était nécessaire de les sortir faire de la marche et c'était de véritables fours pas faciles à tenir...

Enfin la précaution primordiale était de tenir les chevaux constamment en température ambiante, s'il gelait dehors, il devait geler à l'écurie tout pareil. C'est pourquoi il fallait laisser la porte de l'écurie ouverte et le matin, casser deux centimètres de glace sur les seaux d'eau rentrés la veille.

Avec un régime comme ça, les chevaux n'étaient jamais malades, pas de toux, de grippe, bronchite et son charretier de chef qui était logé à la même enseigne bénéficiait des mêmes « avantages» de saine vie (comment peut-on dire ça ?)

Un cheval ne craint pas le froid s'il a de l'avoine dans le coffre il peut affronter les plus basses températures. Les chevaux de Napoléon sur le retour de Moscou sont morts de faim et non de froid, tout comme les chevaux du maréchal Paulus à Stalingrad.

 

Notes :

(1) Même en été la cuisinière était allumée toute la matinée pour faire la cuisine du midi, sitôt après le café on laissait tomber le feu. Je ne sais pas si vous voyez quand il faisait des chaleurs à crever, dans une pièce où il y avait eu du feu toute la matinée, c'était invivable.
Il fallait quand même rallumer le soir pour chauffer le souper et c'était comme ça partout, pas de gazinière ou plaques électriques, pas de frigo non plus, rien que du naturel.

(2) Tous les gamins en campagne rêvaient de conduire un jour « un cheval », l'animal qu'ils avaient sous les yeux tous les jours et dont ils entendaient les hommes parier constamment. Le cheval représentait la force, la puissance, la virilité, tout ce qui attirait l'attention des enfants mâles. Le hennissement des chevaux entiers résonnait aux oreilles comme une musique sublime, une source d'énergie inépuisable avec un brin de quelque chose de mystérieux.
Quand, lors d'un stationnement de quelques minutes d'un cheval attelé à un tombereau ou une charrette, le charretier demandait au gamin présent de mettre la main à la bride avec pour mission d'immobiliser l'attelage le remplissait d'une immense fierté et si c'était la première fois, (6‑7 ans) personne de la maisonnée ne devait ignorer cet acte de courage, et c'était la première marche sur les échelons à gravir.
Aussi quand le garçon de 8-9 ans était « invité » à participer au labour des betteraves en conduisant le cheval entre les rangées, il y allait avec le plus grand plaisir tellement ça paraissait tout simple et tout à fait à sa mesure ; cette conviction intime baissait rapidement en cours d'exécution, il faut l'avoir vécu pour savoir...

 

La Grande Peur - Christian CONNET
Édité par l'auteur en 2001


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