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La fée Mélusine et le puits du château de Maulnes
Cruzy-le-Chatel

 

Vignette de Maurice BRULARD,
  illustration extraite de l'ouvrage de G. BIDAULT de L'ISLE - 1952  

Le Château de Maulnes, photo Pierre MILLAT

 

La petite localité de Cruzy-le-Chatel est située sur la rive gauche de l'Armançon « à l'extrémité d'une colline, entre deux vallons »(53), dans la région des plateaux élevés du Tonnerrois, où elle culmine à près de 314 m, à l'est du château de Maulnes. De Tonnerre, on accède au hameau de Maulnes en empruntant la route nationale n° 65, que l'on quitte depuis le village de Pimelles, en se dirigeant en direction de Cruzy.

Dans cet endroit isolé, battu par les vents, une tradition plusieurs fois séculaire fait de la forteresse de Maulnes le repaire de la fée Mélusine, autrefois redoutée en cette région de Basse Bourgogne.  

1 - Le château de Maulnes, dans l'histoire du Tonnerrois

Sur les finages de Cruzy -et précisément au centre géographique de l'ancienne seigneurie- une forteresse féodale, siège du fief de Maulnes, fut érigée, sans doute vers la seconde moitié du XIe siècle. Au IXe siècle, le domaine de Maulnes était la possession du comte Gérard de ROUSSILLON. Vers 984, le fief passa dans le comté de Tonnerre. Le site abrita par la suite une maison forte qui servit de rendez-vous de chasse et accueillit les ducs de Bourgogne -et notamment Philippe le Hardi, en septembre 1374- qui ne dédaignaient pas venir à Maulnes « découpler » dans l'immense forêt avoisinante, afin de « laisser courre » sur les cerfs, sangliers et autres bêtes fauves qu'elle abritait.

En lieu et place de l'antique forteresse médiévale, une demeure plus accueillante fut édifiée entre 1562 et 1570, à l'époque de la Renaissance, par l'architecte Androuet du Cerceau, à la demande d'Antoine de CRUSSOL, devenu comte de Tonnerre en 1556, par son mariage avec Louise de Clermont. Jean FROMAGEOT indique que « le vieux château fut rasé et la nouvelle construction élevée autour de la source, devenue point central de l'édifice »(54) . Nous reviendrons sur cette particularité de la source qui représente, avec le plan de l'édifice, une singularité remarquable et, en quelque sorte, le support du récit légendaire.

L'isolement et l'étrangeté du site ont probablement contribué à alimenter le mythe de Mélusine. En préambule à son étude sur Maulnes, Albert LARCHER renforce le trait dans une description poétique, au demeurant assez juste : « Un plateau balayé par les vents. Dominant l'immensité désormais dénudée, la forteresse impressionnante du vieux château qui dresse sa masse altière ! Elle semble défier et l'espace qui l'entoure et le ciel noir qui l'opprime, et l'orage qui l'insulte et le soleil qui la brûle ! »

De fait, on aperçoit de loin ce château aux formes un peu curieuses, installé sur un plateau élevé. Venant de Tonnerre par la petite route départementale n° 452, on le découvre depuis la localité de Villon. A l'opposé, lorsqu'on emprunte la route nationale n° 65, conduisant de Tonnerre à Châtillon-sur-Seine, le château est bien visible depuis les environs de Pimelles.

Il n'est pas jusqu'au toponyme qui en appelle à cette singularité. Le nom même de « Maulnes », selon Maximilien QUANTIN, apparaît dans l'histoire pour la première fois, en 1293, sous la forme « Maulna ». On note ensuite successivement les formes suivantes :

• « Maune », en 1305, mentionnée dans le Cartulaire de l'Hôpital de Tonnerre,

   « le Château de Mône », 1736, dans les Archives de l'Inspection des Forêts d'Auxerre,
• « Mosne », 1782, dans le Cartulaire du Duché de Bourgogne. Max QUANTIN ajoute que le château abritait une verrerie en 1787
(56)

La forme « Maulnes » (ou apparentée) se rencontre en quatre endroits dans le département de l'Yonne : « Maulnes » de Cruzy, « Maulny-le-Repos », commune de Bagneaux, dans le canton de Villeneuve-l'Archevêque ; « Maulny » dans les villages de Chevannes et Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes (littéralement nommé «Malum nidum» dans cette dernière localité).

Quelle qu'en soit la forme, le toponyme évoque l'idée d'un « mauvais lieu » soit par rapport à sa situation géographique, soit encore pour des raisons liées à certaines superstitions... « Maulnes et Maulny » sont ignorés de plusieurs ouvrages sérieux de toponymie. Curieusement, et se référant au déterminant « nidum », VINCENT a classé « Maulny » dans les « autres noms évoquant des animaux, métaphoriquement sans doute »(57)

Dans son précieux glossaire des termes dialectaux, André PÉGORIER a répertorié la première syllabe « Mau » en plusieurs régions de France. Il en fait un adjectif qui, dans le centre de la France, prend le sens de « mal, mauvais, pauvre »(58). Charles MOISET explicite davantage l'expression « maulnidum » qu'il assimile « selon certains étymologistes » à un « repaire de brigands, de sorciers, de fées malfaisantes »(59)

Comme il est aisé de l'observer, les lieux nommés « Maulnes » et « Maulny » sont des lieux suspects, qui inspirent une certaine défiance et pour tout dire peu fréquentables ! A notre sens, cette particularité doit être mise au compte de la proximité d'un environnement forestier souvent associé à ces agglomérations. La forêt reste, par excellence, un milieu mystérieux, difficile à franchir, et surtout peuplé d'étranges créatures que l'on redoute de rencontrer, comme ces fées et dames blanches, culards, foulletots et autres petits hommes rouges... qui hantaient jadis l'espace boisé et inspiraient une véritable frayeur au voyageur attardé... Une description du château de Maulnes se trouve contenue dans l'ouvrage dédié par l'architecte Androuet Du Cerceau en 1576 à la reine Catherine de Médicis, portant sur « Les plus excellents bastiments de France ». En outre, une très belle lithographie romantique, gravée par Israël SYLVESTRE en 1645, montre le château couronné par cinq corps de cheminées imposants avec les puissantes tours carrées et la pièce d'eau qui s'épanche dans les jardins, depuis la partie inférieure de la façade méridionale de l'édifice.

L'architecte Du Cerceau explique le sens de son audacieuse et novatrice démarche architecturale établissant l'ordonnancement du château à partir de la source : « en son centre et milieu, une fontaine par bas, en manière de puits, et entour icelle une montée toute percée à jour, de laquelle on va aux membres de sorte que montant et descendant l'on voit toujours au fond la fontaine » (A. LARCHER, op. déjà cité)(59bis).

Le parti adopté par Du Cerceau est effectivement intéressant au plan architectural mais, en ce qui nous concerne, il se double d'un intérêt supplémentaire dans la mesure où il constitue la base d'une tradition légendaire qui fait intervenir la fée Mélusine dans deux versions différentes.

 

2 - Les traditions mélusiniennes du château de Maulnes

Vers la fin du siècle dernier, Charles MOISET a recueilli deux récits mélusiniens dont le château de Maulnes a été le théâtre. Il les a consignés dans son ouvrage des «Usages, croyances, traditions superstitions de l'Yonne» (op. déjà cité). Nous les reproduisons intégralement dans le tableau ci-dessous :

La légende de la fée Mélusine et du Château de Maulnes


VERSION 1

« Parmi toute la phalange de fées, il en était une qui avait particulièrement le don de terroriser les gens de la région de Cruzy-le Châtel : c'était la fée Merlusine, ou Mée Lusigne, ou encore Mère Lusigne.

Mélusine habitait, jadis, sous l'aspect d'une noble dame, un château situé dans la forêt de Maulnes. Elle était très hautaine et si dure pour ses vassaux que ceux d'Arthonnay finirent par se révolter. Mélusine fit le siège du village, qu'elle dirigea elle-même. L'ayant emporté, elle réduisit le pays en cendres et fit passer les habitants au fil de l'épée. A son retour, tous les habitants du château s'empressèrent de la féliciter. Seule, une jeune fille du nom de Suzanne qu'elle avait prise en affection, resta silencieuse, ne pouvant même retenir ses larmes, au récit des horreurs dont les courtisans complimentaient la châtelaine.

Mélusine, furieuse de l'attitude de Suzanne, s'élance sur elle et la précipite dans le puits du château. Revenue à elle, elle veut faire retirer sa victime du puits, mais la jeune fille n'est plus qu'un cadavre. A cette vue, Mélusine, désespérée, entre dans un nouvel accès de fureur, pousse un cri déchirant et se jette à son tour dans le puits. Depuis là, Mélusine est inconsolable. Elle vient souvent errer autour de son ancien manoir, criant en sanglotant : « Maulnes ! Maulnes ! tant que Maulnes sera, mal­heureuse serai ! ».

 

Depuis ce temps aussi Mélusine a pris en haine les habitants de ces contrées. Point de malheurs, de tracas, de misères, qu'elle ne se plaise à leur causer. Celui-ci qu'elle rencontre à l'écart est roué de coups ; celui-là, frappé d'un sommeil irrésistible, est obligé de passer la nuit dans un fossé.

 

C'est aux enfants surtout qu'elle s'at­taque, comme pour se venger particulière­ment sur eux de la mort de leur chère victime. En saisit-elle un, elle l'emporte pour toujours dans l'antre inconnue qu'elle habite... ».

 

 


 

VERSION 2

« L'histoire de Mélusine est aussi racontée avec cette variante : Mélusine était la femme d'un seigneur qui était très fier de la beauté de sa dame.

Une seule chose traversait le bonheur du châtelain, c'était qu'à un certain jour de l'année, Mélusine se faisait invisible pour tous, même pour lui.

Vainement la suppliait-il de lui faire connaître la cause de cette retraite. Mé­lusine ne répondait que par des larmes. Obsédé par des sentiments de toutes sortes, un jour ce seigneur résolut de découvrir à tout prix le mystère.

 

II pénètre secrètement dans l'habi­tation de sa femme, et au moyen d'une fente pratiquée dans la porte, plonge le regard dans la chambre où était la châtelaine.

Mort et enfer ! qu'aperçoit-il ? Mélu­sine ayant toujours, de la tête à la cein­ture, sa beauté divine de femme, présente, dans le reste de son être, la forme d'un hideux serpent.

A cette vue le seigneur jette un cri. Mélusine, qui l'entend, est si courroucée et si honteuse d'avoir été surprise en cet état qu'elle pousse à son tour une clameur qui fait trembler le château et la forêt, et se précipite dans un puits où elle trouve la mort.

 

A partir de ce moment, on la voit encore, de fois à autre, sous cette apparence de demi-métamorphose. Mais elle a voué une haine mortelle aux maris trop curieux, qu'elle punit d'une manière terrible ».

 

Charles MOISET

« Usages, croyances, traditions superstitions de l'Yonne »
« Les usages, croyances, traditions, superstitions de l'Yonne » - pp. 88-89 - réimpression de l'édition 1888 - LAFFITTE REPRINTS - Marseille - 1982.

 

 

Charles MOISET a probablement recueilli ces deux récits à partir des réponses adressées par des correspondants locaux à un questionnaire préalablement envoyé. Nécessairement, les deux traditions ont été résumées dans l'ouvrage de l'auteur et on peut regretter de ne pouvoir disposer des documents retournés par les correspondants de Cruzy ou d'Arthonnay pour relever intégralement tous les aspects du récit légendaire dans leur version originale du XIXe siècle.

A la suite de MOISET, les auteurs du département ont repris la légende en l'enjolivant et en la nourrissant de détails complémentaires, sans pour autant d'ailleurs en altérer la véritable substance(60). En 1985, Guy-Edouard PILLARD s'est intéressé au thème de la « Mélusine de Maulnes » dans la communication qu'il a présentée au congrès de Villeneuve-sur-Yonne. L'étude de M. PILLARD a le mérite d'élargir le cadre régional des « signes mélusiniens » en l'ouvrant aux départements voisins de l'Aube et de la Côte-d'Or. Elle délivre ensuite Mélusine des noirceurs dont on l'accable -assez curieusement d'ailleurs- dans le village de Cruzy, en lui assignant des méfaits dont elle n'est pas revêtue en d'autres régions de France et, comme le souligne l'auteur, « en l'amputant du meilleur d'elle-même »(61)

Charles PATRIAT, d'ordinaire si attentif aux traditions se rapportant aux sources ou fontaines du département de l'Yonne a consacré quelques lignes à la fée de Maulnes qu'il fait remonter aux temps druidiques : « un souvenir qui remonte peut-être jusqu'aux temps druidiques et qui s'est incarné dans le nom de la fée Mélusine, est attaché à la source du puits de l'ancien château de Maulnes, dans la forêt du même nom, près de Cruzy-le-Châtel. La fée Mélusine, ou Mère Lusine, y séjournerait, d'après la tradition. Fée malfaisante sans doute et sans doute aussi peu satisfaite de résider là, car un dicton populaire relatant sa plainte n'est pas encore totalement oublié dans les environs : « Maulnes, maudit Maulnes, tant que Maulnes sera Maulnes, La mère Lusine souffrira ! » (62)

( …)

 

(53) A. LEYMERIE & V. RAULIN - ouvrage déjà cité - renvoi note (7ter) - rubrique « Cruzy » - p. 710.

d° - Gérard TAVERDET - « Les noms des communes de l'Yonne » - Le toponyme de Cruzy désignerait, « la vallée, le village étant situé à la tête d'un petit vallon » - A.B.D.O. - 1996 - s.l.

(54) Jean FROMAGEOT - « Tonnerre et son comté », ouvrage déjà cité - p. 253.

(55) Albert LARCHER - « MAULNES, le plus romantique des châteaux de la Renaissance » - p. 3 - Imprimerie Moderne, Auxerre - s.d.

d° - voir aussi pour le même objet : « Une perle du Tonnerrois... » - Echo d'Auxerre, n° 54 - nov. déc. 1964 - pp. 19-24.

(56) Max. QUANTIN - « Dictionnaire topographique du département de l'Yonne, contenant (es noms de lieux anciens et modernes » - p. 81 - Paris - Imprimerie Impériale - MDCCCLXII.

(57) Auguste VINCENT - « Toponymie de la France » - article 293 - p. 271 - Librairie Générale - Bruxelles - 1937.

(58) André PÉGORIER - « Glossaire des termes dialectaux permettant de trouver le sens d'un grand nombre de toponymes » - p. 267 - Imprimerie de l'Institut Géographique National - Paris - 1963.

(59) Charles MOISET - « Les usages, croyances, traditions, superstitions de l'Yonne » - pp. 88-89 - réimpression de l'édition 1888 - LAFFITTE REPRINTS - Marseille - 1982.

(59bis) renvoi note 55.

d° renvoi note 31 - Ambroise CHALLE - Histoire du Comté de Tonnerre - pp.208-209.

 

(60) Jean PUISSANT – «  A propos du château de Maulnes, histoire de la fée Mélusine » - Echo d'Auxerre - n° 55 - Janvier-Février 1965 - pp. 21-24 - Imprimerie Moderne - Auxerre - 1965.

d° - renvoi ouvrage cité en note 3bis : " Mélusine ".

 

Source:  "LES EAUX MERVEILLEUSES DU TONNERROIS"
Pierre MILLAT 
Tiré à part du bulletin n°11; année 1997
édité par l'association des Amis de la Chapelle de Villeneuve-aux-Riches-Hommes

 
 


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