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La Clairière aux Cèpes

L’eau, presque bouillante, formait, en tombant sur le café fraîchement moulu, une légère mousse brune dont les petites bulles s’agitaient en surface, tentant de grimper le long des parois de la cafetière. Un geste maladroit, une rasade d’eau de trop et le café déborda, marquant l’émail bleu d’une traînée brunâtre. Ursin Forgeard grommela un juron. Ces maudits rhumatismes qui lui déformaient les mains le rendaient malhabile, lui ankylosant les doigts, compliquant toutes les tâches, même les plus élémentaires et, en particulier, celles qui demandaient un peu de précision. Il ferma le poing à plusieurs reprises pour s’assouplir les doigts avant de transporter la cafetière sur la table et s’assit face à la fenêtre.

Le soleil, qui se levait à l’horizon, dévoilait la colline de Vézelay, lentement, progressivement, avec méthode, embrasant un à un, comme le ferait une armée en retraite, les villages de la vallée, puis éclairant les vignes sagement alignées et le petit cimetière qui monte jusqu’au pied de la muraille, apportant un peu de fantaisie aux tombes austères et graves de Maurice Clavel et Max-Pol Fouchet. Les premiers rayons touchèrent les remparts, qu’ils gravirent pierre par pierre, pour finalement atteindre la basilique qu’ils enflammèrent en une seconde, chassant les derniers lambeaux de brume accrochés aux arcs-boutants, illuminant chaque gargouille pour leur redonner la touche de vie que les ténèbres leur avaient ravie.


Il buvait lentement, soufflant bruyamment entre chaque gorgée pour tenter de refroidir un peu le café trop chaud, à peine éclairci d’un peu de lait froid. Par la porte de la cuisine grande ouverte sur le jardin, il observait les merles qui avaient envahi la treille palissée au fronton, pour y picorer les grosses grappes de chasselas doré, maintenant trop mures. Il aurait dû, pensait-il, en couper au moins un panier pour le conserver quelques semaines à la cave et prolonger, ainsi, les plaisirs de l’automne. Mais à quoi bon. Maintenant qu’il était veuf, il n’avait plus goût à rien. Chaque année, il abandonnait une nouvelle parcelle de son jardin aux herbes folles. Pourquoi cultiver tous ces légumes ? Il ne faisait pratiquement plus de cuisine, se contentant très souvent d’une tranche de pain et d’un morceau de fromage. Tant que sa fille et son gendre avaient habité Paris, et étaient venus régulièrement le voir, il s’était occupé du verger et du jardin. Chaque week-end, les enfants remontaient sur la capitale, chargés de fruits et de légumes. Grosses batavias grenobloises, fraîchement coupées, aux larges feuilles frisées et rougissantes, pommes de terre nouvelles à la peau fine et fragile, reines-claudes dorées perlées de sucre, pommes de moisson pâles et tendres, brunissant à la moindre blessure... Maintenant, tout était différent, sa fille l’avait quitté et vivait en Allemagne où son époux avait obtenu un poste important au siège d’une grande société. Ursin n’avait jamais bien compris ce que faisait son gendre, un garçon aimable et instruit mais qui lui avait emmené sa fille bien loin. Certes elle jouissait maintenant d’une bien belle situation ; mais que n’avait-elle épousé un brave gars de la région, elle serait certainement moins riche, mais elle serait là, près de lui, et il saurait pour qui cultiver son jardin.

Comme fréquemment maintenant, son passé lui revenait à grandes bouffées, comme un parfum de lys un soir de juin, et il revoyait l’heureux temps où, jeune homme, il travaillait à la grande scierie qui se tenait à la sortie du village et dont il ne restait maintenant que quelques troncs abandonnés, à l’écorce arrachée par les intempéries, et un énorme tas de sciure que, lentement, les années transformaient en humus. Soucieux, il essaya de chasser ses souvenirs car, depuis quelque temps, il percevait de nouveaux effets de la sénilité. Il rêvait de sa jeunesse, de son enfance, de sa mère, faisant revivre des scènes et des personnages qui ne disparaissaient pas complètement au réveil et il restait de longs moments, à la lisière du sommeil, le visage éclairé par la lueur bleutée du petit matin, tentant de chasser ces images du passé, qui se mêlaient et se confondaient à la réalité de l’instant en une sorte de monde nouveau, recréé à sa mesure et peuplé des êtres chers d’hier. Retombant parfois de cet état transitoire dans une courte période de sommeil profond, les scènes qu’il venait d’imaginer se gravaient en sa mémoire et devenaient le souvenir d’une réalité nouvelle. Alors, complètement éveillé, il lui arrivait de mettre de longues minutes à démêler l’enchevêtrement des images, à parvenir à émonder sa mémoire afin de n’y conserver que ce qu’il pensait être la réalité, toujours envahi par l’angoisse qu’un matin il oubliât de se séparer d’un être cher et disparu.

La vie ne lui procurait plus que de rares bonheurs, celui, par exemple, de contempler ses roses tout humides de la rosée d’un matin d’été ou bien le plaisir d’un bon verre de vin, partagé avec un ami, dans la fraîcheur de la cave ou encore la complicité muette de sa chienne et surtout sa passion pour la cueillette des champignons.

Ah ! les champignons ! Que de joies ne lui avaient-ils pas données au cours de ces innombrables randonnées dans les forêts voisines dont il connaissait tous les sentiers, toutes les futaies et qu’il parcourait en tous sens, depuis plus de cinquante ans, de la Fête-Dieu aux premières gelées. Comme d’autres attrapaient la passion de la chasse, de la pêche ou du jeu, lui avait contracté le virus de la cueillette et y consacrait tous ses loisirs depuis sa plus tendre enfance.

Ursin Forgeard avait été élevé dans les bois, toujours sur les talons de son père qui, charbonnier de son état, passait une grande partie de sa vie dans une cabane au milieu de la forêt, surveillant jour et nuit la combustion lente des stères de bois soigneusement empilés sous l’immense couvercle de tôle et qui, noircissant sans brûler grâce au savoir-faire de l’homme, devenaient un charbon de première qualité issu des meilleures coupes morvandelles de chênes et de hêtres. Avec le progrès, l’intérêt du charbon de bois avait décru et le père d’Ursin avait fini sa vie sans travail régulier, presque sans revenu, sauvé de la misère par le salaire de son fils embauché comme apprenti à la grande scierie le jour de ses douze ans.

Dès qu’il avait eu assez de résistance pour les longues marches, Ursin avait accompagné son père à la recherche des champignons, cèpes, girolles, trompettes de la mort, pieds-de-mouton et autres, qu’ils allaient vendre au marché pour améliorer l’ordinaire. Ce qui, chez le père, n’était qu’un travail saisonnier apte à assurer un complément de revenu, devint chez le fils une véritable passion, une connaissance, un savoir-faire qui lui procura la notoriété, l’estime et, parfois aussi, la jalousie des habitants de tous les villages alentour. Ursin Forgeard devint le Monsieur champignon de la région, une sommité que l’on consultait lorsque l’on doutait de l’identification d’une espèce, un expert qui était en mesure d’annoncer les bonnes ou les mauvaises années, un fournisseur irremplaçable qui transformait un banal repas de communion en une fête inoubliable ou élevait au rang de cordon-bleu un chef sans renom. Ses connaissances exceptionnelles lui avaient, tout au long de sa vie, procuré des revenus substantiels lui permettant, entre autres choses, d’acquérir la petite propriété qu’il habitait. Les bonnes années, quand il était plus jeune, il lui était arrivé de vendre en une saison plus de cinq cents kilos de cèpes ou de trompettes aux grossistes en fruits et légumes de la région, qui envoyaient chaque semaine leurs camionnettes collecter la précieuse marchandise. Même maintenant qu’il n’était plus très actif, il ne se passait pas une année sans qu’il reçoive une demande de son ami de toujours, le propriétaire d’un des meilleurs restaurants de France, afin qu’il lui procurât de quoi préparer quelques délicieuses spécialités, destinées à honorer un hôte de marque. Ursin racontait volontiers que le président Mitterrand et le chancelier Kohl, de passage à la célèbre auberge, s’étaient délectés d’un canard au sang servi sur un lit d’énormes girolles aux corolles grasses et laiteuses qu’il avait ramassées pour l’occasion. Mais Ursin Forgeard était surtout connu pour ses cèpes de qualité exceptionnelle, au bonnet noir et bien ferme, et au pied renflé comme un bouchon de champagne. On disait qu’il avait un secret, qu’il connaissait un endroit au plus reculé de la forêt où, même les plus mauvaises années, quand la sécheresse craquelle la terre et fait tomber les premières feuilles avec la lune de septembre, même ces années-là, il ramenait de magnifiques bolets " tête de nègre ", et son ami le restaurateur n’avait alors d’autres ressources que de faire appel à lui pour maintenir la réputation de ses trois étoiles auxquelles le prestigieux chef de brigade tenait plus qu’un général de division.

Toute la région croyait en l’existence de cette mystérieuse clairière, mais personne n’était capable de la situer avec précision ; bien que tous l’eussent cherchée, nul ne l’avait jamais trouvée. Longtemps, on crut qu’elle se trouvait dans les bois de la Madeleine, à proximité de la route de Clamecy, dans un ravin inaccessible au fond duquel le père Forgeard ne parvenait à descendre qu’à l’aide d’une échelle de corde qu’il dissimulait au fond d’un arbre creux. D’autres disaient encore que la clairière se tenait du côté du village des Chaumots, au plus profond d’un épais fourré, entourée d’une protection de ronces hautes et denses, mêlées à des arbustes d’épines noires dont les longues aiguilles étaient si acérées qu’elles pénétraient dans la chair, s’y brisaient et généraient l’infection. Personne ne pouvait traverser ce rempart naturel et même les sangliers poursuivis par les chiens, refusaient de s’y engager et contournaient la zone infranchissable. Ils ajoutaient que le père Forgeard, par un souterrain creusé par les moines de l’abbaye et connu de lui seul, franchissait l’obstacle sans peine pour atteindre sa clairière aux cèpes.

Les soirs où il était ivre plus que de raison, Anselme, le garde-chasse, aimait à raconter qu’un jour, pendant l’Occupation, alors qu’il était au maquis avec Forgeard, ils furent pris en chasse par une patrouille allemande. Epuisés, traînant avec eux un officier blessé lors de l’embuscade, ils ne durent leur salut qu’à la parfaite connaissance que Forgeard avait de la forêt, les conduisant par des sentiers connus de lui seul, au mystérieux endroit. Pendant de longues heures, ils entendirent les chiens de la Wehrmacht aboyer à la recherche de leur piste, encouragés de la voix par les soldats furieux de ne pouvoir s’emparer des fugitifs qu’ils pensaient à leur merci. Forgeard et ses compagnons restèrent cachés en cette sylvestre thébaïde pendant deux jours, soignant leur lieutenant blessé. A ses camarades de beuveries, qui le pressaient de questions sur cet emplacement, lui offrant à boire pour le faire parler, le garde-chasse répondait toujours qu’il avait fait serment de ne jamais dévoiler ce secret et que, de toute façon, ils avaient fait cette nuit-là, tant de tours et de détours qu’il était incapable de retrouver les chemins que Forgeard avait empruntés.

Le vin et le désir d’être écouté aidant, Anselme faisait, à chaque beuverie, du mystérieux endroit, une description plus extraordinaire que la fois précédente. Un jour, c’était une immense clairière, envahie de fougères, si hautes qu’elles pouvaient dissimuler un homme de grande taille sans qu’il eût à se baisser. Une autre fois, il évoquait les rives d’un petit ruisseau envahies par les iris en fleur et les jacinthes d’eau, une autre encore, les abords d’une source, tapissés de mousse où chevreuils et sangliers venaient s’abreuver.

La clairière du père Forgeard était le monstre du loch Ness du pays vézelien. D’Avallon à Clamecy, il n’était pas un village qui ne se fût passionné pour cette histoire. On envisagea même de mentionner l’existence de la clairière dans le texte du spectacle son et lumière qui attire les foules les soirées d’été, mais le conseil régional s’y opposa, menaçant de retenir ses subventions si l’on mélangeait l’histoire officielle et ce que le délégué à la culture appelait « une superstition locale sans fondement » !

Forgeard, lui, étranger à tout ce remue-ménage, ne changeait rien à ses habitudes et vieillissait doucement, bien décidé à garder son secret et à l’emporter en terre, ce qui ne faisait pas l’affaire du restaurateur, qui voyait son pourvoyeur perdre de sa vigueur et se demandait, avec angoisse, chaque automne, si ce n’était pas la dernière fois qu’il avait l’occasion de cuisiner de si beaux bolets. Il essayait, sans trop y croire, de raisonner son vieil ami, tentant de le persuader de livrer son secret à un homme de confiance qui en ferait bon usage.

« Sois raisonnable Ursin, tu n’as plus vingt ans, ces longues marches en forêt ne sont plus de ton âge, si tu étais pris de malaise, qui te porterait secours au fond de ces bois ? Je suis certain que tu pourrais trouver dans ton village un garçon sérieux avec qui tu pourrais travailler en parfaite intelligence. »

Ursin éludait la question.

« Tu sais, je ne suis pas le seul à trouver des champignons dans la région, la forêt est grande et il y a de la place pour tout le monde. D’ailleurs, je ne suis ni ton unique, ni ton principal fournisseur, que je sache. Le grand Raymond de Nanchèvre t’en livre plus que moi.

- Oui, bien sûr mais pas d’aussi beaux ; et puis les mauvaises années, avec toi, on est toujours certain de pouvoir cuisiner un mets de roi, pratiquement à la demande, ta mystérieuse clairière est une véritable mine d’or !

- Ne raconte donc pas de bêtises, mon secret, c’est la connaissance de la forêt grâce à toutes ces années passées à la parcourir en tous sens. Des champignons, il en pousse partout. Encore faut-il mettre la main dessus. Moi, je peux en ramasser des pleins paniers là où vient de passer un régiment. Il faut savoir marcher en forêt, savoir regarder, étudier les essences d’arbres, la couleur de l’herbe, l’épaisseur de la mousse, respirer l’odeur de l’humus, évaluer la pénétration de la lumière au travers de la voûte des grands arbres. Des champignons, il y en a partout pour celui qui sait les voir ; mais il n’y en a pas toujours, il faut choisir son jour, son heure, compter avec la lune. Ils me font rire ces gens des villes qui disent : “Le week-end prochain, nous irons aux champignons”. Moi je ne sais jamais à l’avance si ce sera une journée favorable ou pas, si la cueillette sera bonne ou mauvaise, c’est le matin même que je me décide, un peu avant le lever du soleil, quand les gouttes de rosée commencent à se former sur les pétales de mes roses et glissent doucement vers le cœur de la fleur. Je regarde le ciel, écoute le vent froisser les feuilles des chênes, observe les hirondelles qui se rassemblent sur les fils du téléphone. Alors seulement je décide si j’irai et où j’irai, quel sera mon gibier de la journée, la girolle cachée dans les mousses, la trompette enterrée sous les feuilles ou les pieds-bleus fièrement alignés comme des soldats à la parade. C’est le bon Dieu qui décide de ce qu’il va m’offrir, pas moi.

- Oui, d’accord Ursin, d’accord pour les girolles, les trompettes, les pieds-bleus, les pieds-de-mouton ou les grandes coulemelles, mais les cèpes " tête de nègre ", petits et trapus, à la chair ferme et aux spores serrées, à l’odeur de noisette qui laissent au palais une saveur d’amande, que tu es le seul à trouver dans la région, et à la demande encore, sans que Dieu donne son avis, pour ces cèpes tu as bien un secret, un endroit exceptionnel connu de toi seul ?

- Ah ! les cèpes " tête de nègre ", ça, c’est différent et le visage d’Ursin devenait songeur, son regard plus lointain, comme s’il découvrait la clairière au petit matin, tout illuminée des premiers rayons du soleil ; ah ! les cèpes, c’est une autre histoire ! »

Son ami savait qu’il était alors inutile d’insister et qu’il n’en tirerait plus rien.

Ce matin-là, le père Forgeard était en retard. Il avait laissé, sans y prendre garde, les premiers rayons du soleil enjamber la basilique et réchauffer les vignes nouvellement replantées sur le flanc du coteau. Il se leva, rangea sa tasse à café, et fit un tour dans le jardin enlaidi par les désordres de l’automne. Ayant consulté le ciel, il décida d’aller traquer la girolle. Il décrocha son panier de vendangeur à fond plat, saisit son bâton, siffla sa chienne et prit la direction de la forêt.

Sept heures venaient de sonner à la vieille horloge comtoise, qui trônait dans l’unique pièce faisant office de cuisine, salle à manger, chambre à coucher et salle d’eau de la petite maison cachée sous les remparts de Vézelay, qui abritait Pierre, le neveu du père Forgeard et que l’on appelait dans la région Pierrot la Fouine. C’était un jeune homme grand et mince, aux longs cheveux noirs, raidis par l’absence de lavages réguliers, au nez rectiligne, au front haut. Le visage n’aurait pas été désagréable sans la présence de ce regard fuyant et sournois, qui en disait aussi long sur les qualités du personnage que l’épais dossier constitué par la gendarmerie locale. Sans être un malfaiteur, Pierrot la Fouine n’avait rien d’un enfant de Marie. Pas assez déterminé et trop veule pour être un véritable délinquant, il était de tous les mauvais petits coups de la région, vol dans les supermarchés, braconnage, bagarres aux sorties de bal et autres menus méfaits. Pierrot avait également inscrit à son palmarès le malheur d’une vieille mère, la sœur de Forgeard, qu’il avait ruinée et qui, comme dans les romans, était morte de chagrin, ainsi que celui d’une pauvre fille qu’il avait engrossée et épousée mais qui, aidée par quelques voisins, avait eu le courage de l’abandonner à ses beuveries. Pierrot la Fouine désespérait son oncle qui l’avait vu, avec indignation, s’enfoncer dans sa marginalité. Il ne lui avait jamais pardonné le mal qu’il avait fait à sa sœur qui, veuve de guerre, avait consacré sa vie à essayer d’élever correctement son gredin de fils. Il ne se passait pas un mois sans que Pierrot ne vînt demander un peu argent à son oncle pour, disait-il, verser la pension due à son épouse, qui avait obtenu, sans difficultés, la garde de leur enfant. Quand l’oncle Forgeard faisait par trop la sourde oreille, Pierrot menaçait de vendre la petite maison dont il avait hérité et qui avait vu naître Ursin et sa sœur Aimée. Sensible à cette menace, le père Forgeard se séparait d’une poignée de billets et Pierrot, sa petite fortune en poche, filait à toutes pédales à Vézelay arroser ça avec quelques poivrots de ses amis.

Pierrot avait une obsession : accompagner son oncle dans ses cueillettes afin de gagner de quoi étancher sa soif et découvrir le secret de la clairière aux cèpes.

« Laisse-moi venir avec toi, à nous deux on se ferait un paquet de billets, tu es trop vieux pour ramener ces lourds paniers, moi je viendrais avec mes copains, et en deux heures, on en récolterait pour une petite fortune. Après quand on connaîtrait les coins, tu n’aurais même plus à te déplacer, tu resterais bien tranquille dans ton jardin et nous, on ferait le travail ; bien sûr, tu aurais ta part, et ce serait comme une sorte de rente que tu toucherais à perpétuité. »

Naturellement, le père Forgeard faisait la sourde oreille.

« Tu sais, dans les champignons, moi ce qui m’intéresse c’est le plaisir de la découverte, pas l’argent. Et vois-tu, la nature n’est pas une source inépuisable, si tu en cueilles trop un jour, le lendemain tu n’auras plus rien, qu’auras-tu gagné de plus ? »

C’était toujours la même réponse, mais Pierrot la Fouine s’obstinait et harcelait son vieil oncle sans répit, cherchant, par tous les moyens, à lui arracher le secret de la clairière aux cèpes.

Ce matin-là, Pierrot était de fort méchante humeur, il avait perdu son dernier billet de cinquante francs dans une interminable partie de tarot, au café de Givry, et, après quelques derniers verres, il avait eu beaucoup de mal à retrouver le chemin de la maison. Il avait la tête lourde, la bouche pâteuse et bien besoin d’un bon remontant pour retrouver ses esprits. Il ouvrit le vieux buffet et réussit à trouver un peu de café, moulu il y avait bien longtemps, à moitié solidifié par l’humidité et collé au fond du bocal. Il fit un rapide inventaire de ses réserves, une demi-bouteille d’huile, une boîte de thon à la tomate et un morceau de gruyère qui verdissait sous son emballage plastique déchiré. Il lui fallait absolument trouver un peu d’argent s’il voulait manger. Inutile d’espérer une aide de son oncle, il l’avait déjà sollicité sans succès la semaine passée. Ce vieux rapiat préférait crever sur son magot plutôt que d’aider sa famille. Trop tard pour se faire embaucher pour les vendanges, tout le raisin était rentré et le vin doux commençait déjà à pétiller dans les cuves. Il pouvait se faire engager quelques jours à la ferme du Pré au Fou pour l’arrachage des pommes de terre, mais il fallait travailler dur, plus de dix heures par jour pour un salaire de misère et, qui plus est, il n’était pas certain qu’après cette histoire de vol dont il avait été accusé, le métayer accepterait de le réembaucher ; personne n’avait pu prouver que c’était lui qui avait pris la mobylette de sa fille, mais ces paysans étaient rancuniers comme de vieux éléphants.

Après avoir passé en revue toutes les solutions possibles, il arriva à la conclusion que, malgré tout, son oncle était la seule personne capable de l’aider.

La grosse horloge sonnait sept heures. Avec un peu de chance, ce vieil avare n’était pas encore parti en forêt. Il saurait bien, cette fois-ci, le convaincre de l’emmener avec lui.

Pierrot enfourcha sa bicyclette, et se laissa couler en roue libre le long de la rue de l’école, puis rue Saint-Étienne où il faillit renverser un chien qui s’enfuyait, un os à la gueule, de la boucherie installée dans l’ancienne maison de Théodore de Bèze. Il passa en trombe devant la maison de Romain Rolland, en face de la poste, hésita un instant à s’arrêter boire un petit gorgeon au “Cheval Blanc” mais emporté par son élan, prit la route de Clamecy et sans donner un seul coup de pédale, dévala la colline que l’on dit éternelle. En quelques minutes, il fut au fond de la vallée. Il ralentissait pour tourner à gauche en direction des Chaumots quand soudain il aperçut le père Forgeard accompagné de son chien qui s’enfonçait dans le petit bois de sapins qui borde la route. Pierrot la Fouine sentit peser sur lui la main du destin, il cacha son vélo dans les buissons, et tout en prenant bien soin de conserver une distance raisonnable afin de ne pas être vu, il emboîta le pas au vieillard.

Forgeard avait emprunté l’allée principale, défoncée par les grosses roues crantées des tracteurs qui procédaient au débardage des grumes. Il marchait à vive allure, sans jeter un coup d’œil aux abords du chemin comme quelqu’un qui sait où il va. A l’évidence, sa quête n’avait pas encore commencé. Brusquement, il abandonna le chemin et se dirigea vers la lisière d’où venait la faible lumière qui éclairait le sous-bois. Toujours suivi de son neveu, qui progressait par petits bonds, se dissimulant derrière les buissons, le père Forgeard traversa une grande prairie très humide, et toujours d’un bon pas, prit le chemin qui longeait le ruisseau. La vallée se creusait en une petite gorge aux flancs granitiques, et de plus en plus boisée au fur et à mesure que les deux hommes progressaient. Arrivé à la hauteur d’une grosse roche qui barrait le courant et que le flot contournait en cascades, le père Forgeard obliqua à droite par un petit sentier qui grimpait au flanc de la colline et s’enfonçait sous une futaie très dense de rejets de chênes et de hêtres. Alors, le comportement du vieillard se modifia. Il avançait plus lentement, écartant doucement de la main les branches qui obstruaient son passage, jetant un regard circulaire sur le sous-bois. De son bâton, il soulevait les fougères roussies et avachies par la sécheresse de l’été. Par moments, ayant aperçu une tache orange, il s’accroupissait, écartant avec précautions la terre et la mousse ; il avait sorti son couteau et coupait les chanterelles au plus bas du pied, prenant grand soin de ne pas arracher le mycélium qui courait sous les feuilles, préservant ainsi ses cueillettes futures. Les champignons étaient déposés avec soin dans son panier, bien calés les uns contre les autres, afin que les fragiles corolles ne se brisent point pendant le transport. Certaines étaient très colorées, comme une peau d’orange, largement développées, au lobe évasé comme un récipient antique. D’autres, au contraire, privées de lumière par un épais tapis de feuilles ou de fougères étaient sans éclat, pâles comme les enfants des villes, le chapeau plat, les bords n’ayant pas eu la force de se redresser pour cueillir la rosée du matin.

Avant de se relever, il tournait sur lui-même, profitant de sa position basse pour fouiller du regard les moindres recoins, le long des souches pourrissantes abattues par les bourrasques de l’hiver, entre les racines des chênes qui enjambaient les blocs de granite à la recherche d’un peu de terre franche où trouver eau et nourriture, sous les touffes de mousse, grosses pelotes vert tendre aux feuilles dentelées qui se hérissent au contact de la main curieuse. Alors seulement, il se relevait, gardant un instant le poing sur les reins, pour donner à ses muscles endoloris le temps de retrouver un peu de souplesse, et reprenait sa quête.

Pierrot la Fouine, qui se tenait prudemment à distance, ne pouvait voir ce qu’il ramassait, n’osant s’approcher davantage de peur d’être surpris. Le père Forgeard avait maintenant repris le sentier et montait en direction du sommet de la colline, suivant à l’évidence un itinéraire bien précis. A quelques pas du sommet, il s’enfonça dans un sous-bois, planté de grands chênes aux troncs droits et rugueux, dont le feuillage très dense capturait la lumière, interdisant tout autre forme de végétation. Le sol était recouvert d’une épaisse couche de feuilles mortes qui se dérobait sous le pied. Forgeard descendit au creux d’un long fossé asséché dont les rives abritaient, juste à portée de main, une colonie de tricholomes nus, plus vulgairement appelés dans la région pieds-bleus, qui, avec leurs chapeaux à larges bords, inclinés sur le côté, se donnaient des allures de contrebandiers basques.

Cette fois-ci, bien dissimulé derrière une pile de fagots abandonnés, Pierrot la Fouine n’était plus qu’à quelques mètres de son oncle et pouvait, à loisir, détailler le contenu du panier. De belles girolles, de superbes pieds-bleus mais toujours pas de cèpes ! Avait-il fait toute cette filature pour rien ? Certes, ces champignons étaient estimables mais on en trouvait de semblables dans toutes les forêts avoisinantes, rien de comparable avec les jeunes bolets “tête de nègre”, gros comme le poing, à la chair ferme et laiteuse qui avaient fait la réputation d’Ursin Forgeard.

La cueillette des pieds-bleus terminée, le père Forgeard rebroussa chemin mais, avant de quitter la coupe des grands chênes, il s’enfonça dans un épais taillis toujours suivi de son neveu. Ils arrivèrent à l’entrée d’une petite grotte. Le cœur de Pierrot se mit à battre plus fort ; la grotte cachait-elle l’entrée de la clairière aux cèpes ? Il se rappela les déclarations du garde-chasse, cet endroit avait dû servir de cache aux maquisards, Pierrot la Fouine s’enhardit, sentant qu’il touchait au but, rampa sous les fougères et parvint à quelques pas seulement de l’entrée. Le père Forgeard, qui avait posé son panier et ôté sa vieille veste de chasse de velours marron délavée, déplaça une lourde pierre qui dissimulait une petite niche creusée dans la roche d’où il sortit une bouteille de vin et un verre. Assis sur une souche, il mastiquait lentement un morceau de pain accompagné d’un petit morceau de fromage qu’il avait sorti de sa veste et qu’il arrosait à intervalles réguliers d’une rasade de vin clairet. Son repas terminé, il reboucha la bouteille et la remit en place derrière la pierre. Il enfila sa veste, saisit son bâton et reprit le chemin du retour, laissant un Pierrot écumant de rage, le nez dans les limaces, et l’estomac réclamant sa part de fromage.

De retour au village, Pierrot ayant retrouvé un peu de courage dans une chopine de petit blanc des coteaux de Vézelay achetée à crédit, décida d’avoir une ultime explication avec son oncle. S’il le fallait, il le menacerait de vendre la vieille horloge de famille pour le décider à lui prêter quelque argent.

Il le trouva endormi dans son fauteuil de rotin, son lieu de sieste habituel. N’osant le réveiller, de peur de l’indisposer, il s’apprêtait à repartir, quand il aperçut sur la table deux paniers de champignons que, visiblement, son oncle s’apprêtait à livrer à quelque client. L’un contenait les girolles et les pieds-bleus que Pierrot l’avait vu ramasser le matin même et l’autre, de magnifiques cèpes “tête de nègre”. Pierrot la Fouine n’en croyait pas ses yeux. Comment cela était-il possible ? Il n’avait pas quitté le vieux d’une semelle de sabot de toute la matinée, il ne pouvait avoir ramassé ces cèpes dans la matinée. Pourtant, ils paraissaient tout frais cueillis. Pierrot vivait un cauchemar. Sans ménagement, il secoua violemment son oncle qui émergea brusquement de son sommeil.

« Qu’est-ce que c’est ? Ah ! C’est toi le Pierrot... C’est ta mère qui t’envoie, cela fait bien longtemps qu’elle n’est pas venue me rendre visite. »

Pierrot fut interloqué par la question, sa mère, la sœur du père Forgeard, était morte depuis plus de dix années. Il comprit rapidement que la raison de son vieil oncle vacillait et décida de rentrer dans le jeu espérant tirer parti de cette étrange situation pour le faire parler.

« Elle va bien, elle t’envoie le bonjour et aimerait que tu lui donnes quelques beaux cèpes pour faire une omelette au dîner. Je peux prendre ceux qui sont sur la table ?

- Non, pas ceux-là, c’est une commande que je dois livrer de suite. J’irai lui en couper des tout frais en fin d’après-midi et passerai les lui porter ». Le vieillard referma les yeux et reprit sa sieste laissant Pierrot très perplexe. Le coin, se disait-il, ne devait pas être bien loin de la maison puisque l’oncle envisageait d’y faire un saut en fin d’après-midi. Il ne voyait point de bois à proximité susceptibles d’abriter des cèpes. Le mystère s’épaississait, et il avait besoin d’argent ; il décida de vendre l’horloge sans en parler à son oncle. Cela lui donnerait le temps d’aviser.

Le lendemain soir, Pierrot la Fouine, riche de la vente de la vieille comtoise visitait les débits de boisson de Vézelay à la recherche du garde chasse qu’il comptait mettre au courant de ses dernières découvertes. Il avait laissé sa bicyclette dans la cour du garage de “la Madeleine” à l’arrêt des cars et il montait la rue qui mène à la basilique et aux remparts. Pierrot se sentait de moins en moins chez lui dans ce village, qui pourtant l’avait vu naître. Tant de choses avaient changé et changeaient encore, les boutiques traditionnelles fermaient une à une, remplacées après transformation par des galeries d’art ou des échoppes de produits artisanaux. Les petits cafés devenaient pizzeria ou croissanterie, la mercerie ne vendait plus que de la laine tissée à la main et l’épicerie se spécialisait dans les vins locaux. Seule la boucherie du père Muller semblait résister à cette invasion venue de la ville. Cependant, la montée était toujours aussi rude et Pierrot avait grand soif. Il hésita à entrer au “Compostelle”, se demandant si les nouveaux propriétaires accepteraient de lui servir une chopine de blanc. Après avoir jeté un coup d’œil sur la nouvelle salle aux peintures encore fraîches, il pensa que non et décida de pousser jusqu’au “Vézelay” sur la place du Grand-Puits. Il songeait avec amertume que bientôt, il n’y aurait plus un bistrot où les gens du pays pourraient se retrouver pour boire un petit gorgeon et faire une coinchée ; ces maudits touristes achetaient tout. Le nombre d’habitants nés sur le territoire de la commune diminuait d’année en année, ils partaient chercher du travail à Auxerre ou à Paris et vendaient leurs maisons à un peintre ou à un écrivain.

Enfin arrivé et épuisé par la côte, Pierrot s’affala au comptoir, commanda un verre et demanda si l’on avait aperçu le garde-chasse. Pas de chance, il venait juste de partir et aux dires de la patronne, s’était dirigé vers la basilique, ce qui signifiait, en fait, vers le café de la basilique qui se tenait sur la place. C’est là, en effet, qu’il trouva le garde, attablé avec trois compères, devant une bouteille et un jeu de belote. La partie terminée, Pierrot le prit à part et lui raconta les événements de la veille. Le garde était aussi perplexe que Pierrot et ne voyait pas où, si près de son domicile, le père Forgeard pouvait trouver des cèpes.

« Vois-tu, pour qu’un cèpe pousse, il lui faut une présence amie et ses amis, au cèpe, sont les chênes, les châtaigniers ou les sapins. Il y a trois levées principales de cèpes par an, une en juin, une en septembre et la dernière à la pleine lune d’octobre. Pour trouver des jeunes bolets à cette saison, il faut un endroit sombre, où la rareté de la lumière retarde la levée, comme dans une sapinière où le soleil ne pénètre qu’avec beaucoup de peine. Des sapinières comme ça, j’en connais dans les bois de Fontette, mais ce n’est pas tout près de chez ton oncle. Non, vraiment je ne comprends pas où il peut bien ramasser ça. »

Le petit blanc des coteaux de Nanchèvre commençait à rosir les oreilles du Pierrot qui descendit la rue, la démarche incertaine, pestant contre les chaises des terrasses qui envahissaient les trottoirs et ralentissaient sa progression laborieuse. Il eut beaucoup de mal à retrouver son vélo, encore plus de difficultés à l’enfourcher et, sans l’effet salutaire de l’air vif lui fouettant le visage, il n’aurait jamais retrouvé sa route.

Ce n’est que le lendemain qu’il apprit la nouvelle, le père Forgeard était mort. Le facteur qui, comme tous les jours, lui apportait L’Yonne Républicaine l’avait trouvé, sans vie, dans son vieux fauteuil d’osier. Il avait essayé de le réveiller, mais son cœur avait cessé de battre. Le père Forgeard était parti au paradis des chercheurs de champignons en emportant son secret.

L’enterrement n’eut lieu que trois jours plus tard, afin de laisser le temps à la fille du défunt de venir d’Allemagne. Ce fut une bien belle cérémonie et la basilique était pleine jusqu’au transept, le père Forgeard connaissait tant de monde ! On était venu des Chaumots, de Saint-Père, de Tharoiseau, de Givry, de Domecy, de Sermizelles, d’Asquins et des Fontaines Salées. Même le maire était venu. Pierrot, qui pour la circonstance, avait emprunté une chemise blanche au garde-chasse, se tenait au premier rang aux côtés d’Isabelle, sa cousine, et de son mari.

Après la messe et la cérémonie au cimetière, Isabelle avait réuni les habitants du village dans la maison de son père, autour d’une montagne de gougères et de quelques bouteilles de chablis. On parlait du défunt, de la sécheresse, des vendanges qui venaient de se terminer, regardant en coin le mari d’Isabelle, qui se sentait un peu perdu dans cette étrange réunion qu’il jugeait fort déplacée. Mais Isabelle avait insisté, expliquant à son parisien de mari qu’ici telle était la coutume, il aurait fait beau voir que l’on se quittât après un enterrement sans avoir bu un verre et partagé quelques gougères ou une brioche. Le mort se serait retourné dans sa tombe.

Les invités enfin partis, Pierrot prit sa cousine à part.

« Dis-moi Isabelle, ton père ne t’a jamais parlé de la fameuse clairière ?

- De la clairière, quelle clairière ?

- La clairière où il trouvait les cèpes.

- Ah ! Les cèpes ? Le visage d’Isabelle s’éclaira et, malgré les circonstances, elle ne put réprimer un petit rire. Le fameux coin à champignons !

Tiens, viens avec moi, je vais te montrer quelque chose qui va t’intéresser. »

Elle décrocha une vieille clé accrochée au clou qui fixait le calendrier des postes et se dirigea, suivie de son cousin vers la vieille grange qui se dressait au fond du jardin. Elle poussa la porte et ils pénétrèrent à l’intérieur. Isabelle souleva une trappe et descendit un petit escalier de pierre aux marches luisantes d’humidité. La traversée du jardin, envahi par le soleil de cette belle matinée d’automne, les avait un peu éblouis, mais, petit à petit, leurs yeux s’accoutumaient à la demi- obscurité qui régnait dans la pièce, éclairée seulement par la faible lueur d’un petit soupirail. C’était une très grande cave couverte de deux voûtes soutenues par trois piliers alignés au centre de la pièce. Ce devait être une ancienne chapelle, dont les fenêtres en ogives avaient été murées à l’aide d’énormes pierres, assemblées par un mortier grossier. De chaque côté, une épaisse couche de paille et de feuilles mortes en décomposition, entassées sur plus d’un mètre de haut et sur toute la longueur de la pièce, ne laissait au milieu que l’espace d’une allée juste assez large pour y circuler.

Là, à portée de main des centaines de cèpes attendaient d’être cueillis. Certains étaient énormes, conservés à dessein pour la reproduction, afin que leurs spores réensemencent le mélange de paille, de fumier de cheval et de feuilles. D’autres, très jeunes étaient prêts à être consommés. Pierrot, ébahi, restait sans voix. Ainsi, le père Forgeard faisait pousser les cèpes comme d’autres cultivent les radis et les laitues. Il avait réussi là où tous les chercheurs de l’INRA avaient échoué. Il avait trouvé le moyen de prélever dans la forêt le précieux mycélium qui court sous les mousses et les bruyères, pour les faire pousser, là, dans sa cave, sur un mélange d’humus artificiel. Maintenant, Pierrot comprenait tout...

Isabelle vendit la maison à des Parisiens qui aménagèrent l’ancienne chapelle dont ils firent une cuisine d’été après avoir réouvert les fenêtres.

Pierrot la Fouine ne divulgua pas le secret du père Forgeard tant qu’il crut qu’il serait en mesure de cultiver des cèpes dans sa propre cave sur le précieux mélange, récupéré avant que les ouvriers vident la chapelle.

Il ne réussit jamais à faire pousser le moindre champignon. Découragé, il se mit à raconter l’histoire dans tous les cafés de la région, mais personne ne le crut. Il était trop tard, la clairière aux cèpes était déjà entrée dans la légende.

 

Michel REDERON  Leçons de campagne. Histoires et récits des Pays de Bourgogne (1999)
( 191 pages - 15,24 € - 100 FRF )

Editions de l'Armancon.  Rue de l'Hôtel de ville 21300  Précy-sous-Thil )
Tel  03 80 64 41 87

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