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En attendant le bonhomme Janvier

A la Saint-Thomas, tue ton porc, "bue" (lave) tes draps, dans cinq jours Noël tu auras ! ». Il restait aussi à ramoner la cheminée pour le passage du petit Jésus. Un fagot d'épine noire faisait l'affaire, solidement fixé à une longue perche, sauf qu'il risquait de rester coincé dans la maçonnerie. On serait bien empigé (embêté). C'était il y a déjà bien des décennies et ce matin-là Georgette Cagnat à Saint-Sauveur, Henriette Damotte à Saints, Yves Robert à Lain, Daniel Prot à Louesme et Alexandre Mathé à Taingy, allaient se rendre compte à pas feutrés et en chemise de nuit de ce que le bonhomme Janvier avait mis dans leurs petits sabots proprement cirés de la veille. Dame ! C'était des choses comme ils n'en voyaient qu'exceptionnellement dans la Puisaye-Forterre d'autrefois. Une pomme d'orange ! L'un de ces fruits qui venait à n'en pas douter d'un lointain Eden ! C'était aussi une ou deux pipes en sucre jaune et rouge qui n'avaient rien à voir avec celles qu'on était habitué de voir journellement serrées entre les dents des bûcherons. Dans les sabots ils trouveraient encore quelques morceaux de chocolat, une noix enveloppée dans du papier d'ar­gent, un bâton de sucre-d'orge ou quelques roudoudous. C'était de maigres présents qu'on disait offert par l'enfant-Jésus et qui marquaient à la fois Noël et le jour de l'an. Tout était modeste, modique, autant que les bourses d'alors et de toute façon, les petiots se contentaient d'un rien.

Georgette a aujourd'hui 92 ans, Henriette 89 ans, Yves 93 ans, Alexandre 71 ans et Daniel 66 ans. Résidents de la maison de retraite de Saint-Sauveur, ils ont ravivés avec plaisir quelques fragments de leur jeunesse au temps de Noël. Certains d'entre eux allaient à la messe de minuit, illuminée par une grande crèche. Un verre de chocolat, un verre de vin chaud les attendaient au retour. En Puisaye-Forterre, le réveillon n'existait pas, tout juste veillait-on, entre parentèle, un peu plus tard que d'habitude. La maîtresse de maison confectionnait un repas simple et rustique. On mangeait le pot-au-feu ou le morceau de cochon que l'on avait tué quelque temps auparavant, la galette confectionnée à la maison et des châtaignes. Lorsque l'année avait été bonne on y adjoignait la dinde et quelquefois l'oie. Le tout était arrosé de cidre et avant de se glisser sous l'édredon on se réchauffait encore d'un « brûlot » (sucre et eau de vie flambée). Les familles d'alors s'accordaient jusqu'à l'Epiphanie quelques jours sans trop de travaux. Le temps changeait lentement de visage jusqu'au jour de l'an, qui se passait en visites, des plus jeunes aux plus anciens, des voisins aux voisines. On échangeait les voeux : « Bonne année, bonne santé, et le paradis à la fin de vos jours ! ». Henriette, Georgette, Yves, Daniel et Alexandre récoltaient ainsi quelques sucreries ou piécettes qu'il eût été malséant de dépenser aussitôt. On devait apprendre à vivre d'épargne avec des ressources limitées.

Entre soi, on offrait avec les voeux un verre de goutte ou de vin doux accompagné d'un morceau de galette faite à la maison. Les aînés se souviennent également des jolies cartes de voeux qu'ils envoyaient à leur parentèle : cartes de soie tissées, cartes brodées, photos de femmes ou d'enfants au visage angélique, violettes, fers à cheval porte-bonheur, prénoms ou noms de villages ornés de dentelle. Ces souhaits joliment calligraphiés se devaient d'apporter un peu de bonheur ou de tendresse à leur destinataire. Ils les envoyaient à la famille avec des petits mots simples écrits avec la même application lourde, qui des années avant, avait triomphé du sacré Certificat d'études. Ça commençait par « bien chers tous... » et ça finissait par votre « cousin qui... votre cousine qui... ». Henriette confie « Un jour le bonhomme Janvier m'a apporté une poupée, je la revois encore, ce fut mon plus beau cadeau! » « J'en ai eu une également! » Renchérit Georgette. Yves, lui, fut émerveillé par un jeu de quilles, Alexandre par un petit accordéon et Daniel par un livre « Les compagnons de l'Aubépin ». Ces souvenirs de la candeur de leurs dix ans font sourire d'aise nos cinq anciens. Comme si la chaleur conviviale de la maison de retraite de Saint-Sauveur faisait fondre leurs rhumatismes et battre sous leur peau un sang plus vif et rajeuni. Mais déjà, les jours allongent, à la Sainte-Luce d'un saut de puce, à la Saint-Antoine d'un repas de moine. Quelques semaines encore et l'on verra brûler les lumières de la Chandeleur. « Chouette ! s'écrie Georgette, Chantal, notre animatrice va nous faire des crêpes ! ». A presque 93 ans, voilà ce que l'on appelle de la gourmandise de vie !

 

Jean-Claude TSAVDARIS
Ces gens de Puisaye. Volume 5
Les saisons paysannes
Edité en 2002


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