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La lune inspirée
La classe, la cour de récréation - Souvenirs d'école

Que faut-il faire pour n'être pas dans la lune ?

- II faut sur une feuille oublier l'escargot

Ignorer la chenille et ses rubis mouvants
Ecraser une mouche qui lisse sur son dos
Deux pétales de nacre légers et transparents...

(l'innocent: BROUSSAILLES)
Alexandra YTHIER

Observer ! II faut faire observer! o-b-s-e-r-v-e-r- ! Leitmotiv de notre abécédaire pédagogique. Grosse difficulté à laquelle j'appréhendais de m'attaquer, lorsque je réalisai. Mais, observer ?... je n'ai fait que cela toute mon enfance ! Faut-il donc qu'on vous l'apprenne ?... alors qu'à l'école, comme à la maison, mes longues contemplations avaient fait de moi une enfant à part, un être presque inadapté, une « Madame la Lune» comme m'appelait ironiquement l'institutrice qui ne maniait pourtant pas l'ironie à longueur de journée.

Intéressée par l'école, bonne élève, c'est certain, j'avais pourtant du mal a rester réellement présente en classe une journée durant.

Une fenêtre qui découpe un grand carré bleu et lumineux, une abeille qui s'y heurte et qui dessine des volutes autour d'une grappe de glycine ; des graines de sycomore qui s'envolent en tourniquets dans la bourrasque ; des flocons de neige qui mènent la sarabande !... que s'est-il passé pendant ce temps ?

Et puis le spectacle des camarades, dans cette classe où s'échelonnent tous les âges, est lui-même bien attrayant.

II y a les petits dont les occupations sont si peu scolaires parfois : sucer leur pouce, tourner leurs boucles, gratter leur nez... II y a celui qui mange la carotte qu'il doit dessiner ; il y a celui qui crache sur son ardoise et qui dessine avec le doigt mouillé des bonshommes au gros ventre piqueté d'une rangée de boutons ; il y a les copieurs dont je m'amuse à découvrir le manège ; et puis les farceurs, comme René qui a attaché les deux nattes de Denise avec une ficelle au dossier de son banc ; et ce Dédé, tiens! II a fait semblant, ce matin, de souffler dans son encrier en cachant ses joues de ses deux mains; Ginette, invitée à l'imiter, a vraiment soufflé et s'est toute éclaboussée. Malgré un débarbouillage bien appuyé, elle a encore des taches sur la figure à l'arrivée du photographe, venu justement cet après-midi.

Et puis, il y a le souvenir des jeux, où je retrouve toute mon activité, m'y donnant à corps perdu.

J'aime le jeu de barres si plein de règles qu'on s'y querelle souvent. Mais, être prisonnier et avoir le cœur bondissant d'attendre sa délivrance... que d'émois! J'aime le tournoi où mon état de fille et ma légèreté me désignent pour monter sur les épaules des garçons... et... hardi !... en guise de coups de lance, pour frapper l'adversaire, nous faisons tournoyer au-dessus de nos têtes nos cache-nez en jersey, torsadés en nerf-de-bœuf avec un gros nœud à l'extrémité. Ainsi malmenés, ils atteignent une telle longueur que j'ai eu des ennuis à la maison et j'ai dû bouder pendant plusieurs parties pour me sortir de l'impasse.

D'ailleurs les modes changent et les ennuis varient. C'est le souvenir douloureux d'une certaine partie de tennis bien savoureuse. Nos voisins parisiens me fournissant de balles, l'idée me vient de transformer la cour de récréation en court de tennis. Le tennis! jeu moderne et éclectique, s'il en est !

Le filet est une corde tendue en travers de la cour ; les raquettes sont les vieux battoirs de nos mères... les rouillauts, comme elles les appellent. Elles nous donnent ceux qui sont usés par une génération de lessives. Lorsque le jeu trop animé tourne au pugilat ; ils se fendent à la rencontre de quelque crâne. C'est pourquoi Robert revient en cet après-midi, avec un beau battoir tout neuf, bien épais et bien lourd... et mon front s'orne vite d'un bel œuf de pigeon qui passera par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, créant ainsi un beau divertissement pour les camarades... mais suscitant dorénavant en moi une certaine appréhension pour ce sport apparemment sans danger.

Pendant une période de froid sec, la mode est venue de se réchauffer en sautant à la corde. Les sabots martèlent le sol durci. Je porte, quant à moi, des galoches: les semelles sont de bois, mais la chaussure est montante, lacée et en cuir. C'est une bonne chaussure, meilleure au pied que les sabots ou les claquettes que portent bon nombre de mes camarades et on m'en fait bien souvent sentir le privilège. Crac! Je me tords la cheville ; un pincement aigu à la plante du pied ; la semelle fendue... Je reviens à la maison en tournant le pied sur le côté. Eh ! bien ! Je n'aurais pas dû sauter sur la terre gelée ; j'aurais dû en connaître la dureté et ne pas y risquer mes semelles de bois ; et je suis condamnée à marcher ainsi. Mon pied en garde une telle marque bleue, qu'au bout de quinze jours enfin, on remplace mes galoches ; Papa ayant pris soin, cette fois, de les clouter, c'est d'un pas sonore de charretier que je reprends alors le chemin de l'école.

Je me souviens du jeu de la diligence si passionnant et si violent. Tout le monde y participait. Les petits se tenant par la main en ribambelle, constituaient l'attelage de chevaux, les deux extrêmes tenaient les bouts d'une grande corde ; les moyens et les filles s'y accrochant figuraient les voyageurs. Les garçons s'égaillaient partout, se dissimulant dans les angles des murs ou dans les bosquets pendant que la diligence parcourait toute la cour. Les plus violents nous attaquaient, nous arrachaient de la corde en de véritables corps-à-corps. Alors intervenaient les gendarmes qui permettaient parfois aux voyageurs de reconstituer la diligence.

Cette fois-là, le jour qui me revient particulièrement, l'avantage est resté aux brigands. II est vrai que parmi eux s'est dressé un chef, un grand gars de treize ans, fils de rempailleurs de chaises et ramasseurs de ferrailles et qui habite une roulotte tirée par un cheval. II porte des culottes de golf comme un jeune homme ; et, s'il ne brille pas en classe, il sait si bien animer les jeux de son autorité qu'il jouit d'un grand prestige. Donc, ce jour-là, le Grand Patureau s'est emparé de ma grêle personne et de la corde qui simule la diligence. II m'emmène dans l'arrière-cour ; et me voilà attachée au sycomore ! Les voyageurs se sauvent ; les gendarmes connaissent la défaite ; la fin de la récréation est annoncée. Le silence plane tout à coup sur la cour. Une légère rumeur me parvient de la salle de classe. Quelle panique! Vais-je rester longtemps là ? indéfiniment ?...

Mais on court sur le gravier. Le Grand Patureau, bravant les rigueurs de l'institutrice est ressorti pour me détacher. II s'est rappelé sa capture. II s'est intéressé à moi. Comme il est grand! Comme il est beau !...

Dans les jours qui suivent, il s'établit une sorte de connivence entre nous deux. Je sens qu'il me considère d'une façon toute particulière... Et il se met à hanter mes rêves, ce fils de la Bohême !

D'autres moments bénis, sont, à part les récréations, nos modestes rédactions où mes envolées poétiques et romantiques font se pâmer mes camarades.

J'ai décrit avec amour mes petites tourterelles ; si petite encore, j'ai parlé du problème de la liberté des oiseaux.

J'ai su dépeindre notre facteur, et pourtant bien jeune, j'ai dit - et on l'a relu - la beauté de ce métier, des métiers en général... et l'émotion que cela suscitait étreignait mon cœur.

II est arrivé pourtant que l'admiration grandissante des auditeurs restait tout à coup en suspens... la plume de l'écolière s'étant relevée brusquement. Et, alors que j'attendais des lauriers, on me faisait honte.

« Tu étais encore dans la lune ! »

Ma réputation étant pourtant solide.

Parfois, quelques gamines s'ennuyant en récréation et ne sachant quel jeu entreprendre, l'une d'elles proposait:

« Allez! Toi! Raconte-nous quelque chose... On va jouer à pleurer.

- Tiens! Oui ! appuyait une autre. Raconte-nous ta mère ! » Alors, emportée par des élans pathétiques, j'inventais des drames autour de cette mère mystérieuse et inconnue... drames qui faisaient renifler mes petites compagnes. Quand la maîtresse mettait fin à la récréation ; elles et moi passions vite un mouchoir sur nos yeux avant de rentrer.

 

Alexandra YTHIER
LE VILLAGE SANS CLOCHER
Edité en 1987


Témoignages du Passé

 

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Accès Recueil 3

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