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SUR
QUELQUES FONTAINES DE PUISAYE
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… Qui était Paultre des Ormes ?
La famille Paultre, originaire de Saint-Amand, vint se fixer à Saint-Sauveur
vers 1560 où certains de ses membres remplirent diverses fonctions
administratives avant 1789. Vathaire de Guerchy nous conte son histoire dans
l' « Histoire de Saint-Sauveur » publiée dans le B.S.S.Y. de 1937. Notre
auteur, né en 1775 s'engagea dans l'artillerie le 23 septembre 1793 et fut
nommé capitaine à l'armée du Rhin en 1795. En 1799, il était aide de camp du
général Kléber à l'armée d'Egypte, mais fut gravement blessé en 1800, deux
jours après sa nomination au grade de chef d'escadron. Ses deux frères
firent de brillantes carrières. L'un, Paultre de la Mothe, participa aux
guerres de la Révolution et de l'Empire, se rallia à la Restauration et prit
sa retraite comme général de division. L'autre, Paultre de la Vernée, fut
maire de Saint-Sauveur de 1802 à 1814, conseiller général de 1803 à 1814,
député de l'Yonne pendant les Cent-jours et conseiller d'arrondissement de
1823 à 1842. Leur sœur avait épousé Longpérier qui termina sa carrière comme
conservateur du musée du Louvre. C'est donc dans un milieu bourgeois, rallié
à la Restauration, après une participation active à la vie politique sous la
Révolution et sous l'Empire, mais toujours hostile à la religion chrétienne,
que vécut notre auteur, après avoir été admis à la retraite en 1802 avec le
grade de lieutenant-colonel.
Le travail n'était pas une nécessité pour ce jeune retraité de 27 ans,
disposant de suffisantes ressources financières, mais, ne pouvant rester
inactif. II s'occupa d'histoire et d'archéologie, publia Notice sur la
bataille de Fontenoy, Dissertation sur l'ancienne ville de Genabum, La
morale primitive en pensées, maximes, proverbes et sentences des Orientaux
et fit également graver une carte de Syrie.
Paultre des Ormes, entre 1820 et 1835, parcourut le canton de Saint-Sauveur
à la recherche d' « antiquités » qui ne pouvaient être, selon lui, que les
restes d'un culte celtique. I1 nota tout ce qui lui parut intéressant :
buttes tumulaires, mottes, chapelles, anciens monastères, ruines diverses,
sources et fontaines. Malheureusement, toutes ses observations et en
particulier celles de 1835, sont présentées en désordre avec de nombreuses
digressions sur les sujets les plus divers mais se rapportant tous à
l'Antiquité ou au Moyen Age. II évoque les Scythes, les Sarmates, les
monnaies anciennes, les hiéroglyphes, la langue celte, Delphes, les
constructions cyclopéennes, la Syrie, le culte de la Madeleine, la vie de
Jésus, les Danois, la conquête de l'Angleterre, tout en nous présentant les
villes les plus anciennes de la vallée de la Loire.
Une présentation aussi confuse, pourrait nous faire douter de la valeur des
documents. Mais notre officier en retraite, définit en 1820 sa méthode de
travail qui nous incite à une lecture plus attentive des textes. Il faut,
dit-il, rechercher tous les documents et recueillir tous les témoignages en
en conservant si possible le style. Les principes ainsi définis seront
toujours respectés, comme sera maintenue une nette distinction entre ce
qu'on lui a dit et ce qu'il a vu. D'ailleurs Maximilien Quantin, au congrès
scientifique de 1858, traitant de la voie romaine d'Auxerre à Entrains,
rendait hommage au travail de Paultre des Ormes sur ce sujet et souhaitait
que le manuscrit détenu par la famille soit enfin publié. A plusieurs
reprises, dans le Dictionnaire archéologique il fait référence aux cahiers,
objet de cette étude.
Beaucoup de sources et fontaines ne présentent pas, d'après l'auteur de
particularités intéressantes. On n'y trouve ni ruines, ni légendes, ni
vertus miraculeuses. Il en est ainsi à Chappe près de Lainsecq, à Villerot
et aux Bouteaux près de Sainte-Colombe, à Vé et à Saint-Georges près de
Moutiers, bien que Quantin fasse de cette dernière un lieu de pèlerinage.
Il n'y a rien à signaler non plus, aux sources du Branlin, du Ru d'Ingeron,
de l'Ouanne, de la Vrille et de l'Aiguillon, ces rivières de la Puisaye.
Pourtant des restes de constructions anciennes se remarquent à
Saint-Georges, à Révillon, à Torrailler et Saint-Bon près de Moutiers. Et
Paultre des Ormes voit, dans le traditionnel système de captage des sources
en Puisaye, les ruines de temples celtiques. Le petit bassin carré d'où sort
la source, et le grand bassin rectangulaire en contrebas ne peuvent être
selon lui que les témoins d'un culte ancien. Mais la réalité est beaucoup
plus simple : la partie carrée fournit l'eau potable et le trop-plein de la
source alimente le lavoir-abreuvoir.
Pourtant quelques études sont particulièrement intéressantes.
La fontaine des Merles,
son intérêt archéologique.
La Butte des Merles, à gauche de la route de Saints-en-Puisaye à Fontenoy,
avec ses fontaines maintenant à l'abandon, pourrait intéresser les
archéologues d'aujourd'hui. Au début du siècle dernier, lors du creusement
du sol pour la construction d'une grange deux urnes furent découvertes.
L'une, en pierre, fut utilisée après la suppression du fond, comme lucarne
dans le mur de la grange, l'autre, en « terre cuite », considérée comme sans
intérêt, fut détruite et pourtant elle contenait des cendres et des
ossements.
Un peu au-dessous de la grange se trouvent une fontaine enfermée dans une
sorte de puits et une mare présentant la particularité d'avoir en son milieu
une source sortant d'un tronc d'arbre creux.
Le même type de captage découvert depuis, par un cultivateur, fut
malheureusement détruit et le bois transformé au cours des siècles était
devenu incombustible. On ne peut, devant ces découvertes, s'empêcher de
penser aux captages des Fontaines Salées près de Saint-Père-sous-Vézelay.
La fontaine
de Coulon et sa légende.
A Coulon, Paultre des Ormes interrogea les deux femmes les plus anciennes du
pays l'une ayant près de quatre-vingts ans, c'est-à-dire qu'elle était née
au milieu du XVIIIè siècle. L'aubergiste et sa fille assistaient à
l'entretien, chargés de suppléer, l'un et l'autre, à d'éventuelles
défaillances de mémoire. Les deux femmes furent indemnisées et on leur
offrit « la régalade ». Grâce à elles, l'auteur put transcrire la légende de
la fontaine de la Lavandière qui s'écoule un peu au-dessus de Coulon.
Par les belles soirées d'été, on entend souvent le bruit du battoir d'une
lavandière qui se prolonge fort avant dans la nuit. On ne voit rien sur les
bords de la fontaine, mais certaines personnes prétendent y apercevoir une
grande chienne jaune qui disparaît à l'approche des curieux.
Remarquons que la même légende se retrouve à une fontaine du
Mont-Saint-Sulpice, près de Brienon, mais la scène se déroule en hiver. Elle
a été citée par l'abbé Cornat dans le B.S.S.Y. de 1849.
Sementron : La fontaine
Sainte-Geneviève ou comment lutter contre la sécheresse
En période de sécheresse on se rendait à Sementron, à la fontaine
Sainte-Geneviève, pour implorer le ciel. La procession, partie de
Saint-Sauveur, prenait au passage les habitants de Saints-en Puisaye,
marquait un premier arrêt à Saint-Bonnet près de Levis et rejoignait enfin
Sementron et sa fontaine. Là, il suffisait qu'une jeune fille vierge, pieds
nus, cure la fontaine pour que la pluie tombe dès le lendemain.
Mais l'auteur ne précise pas s'il s'agit de témoignages sur des événements
réellement vécus ou de souvenirs de coutumes déjà disparues depuis un
certain temps.
Histoire et légende aux sources du Loing
Les sources du Loing, malgré les travaux effectués, sont restées ce qu'elles
étaient au début du XVIIIè s., époque, où, d'après la tradition, elles
étaient beaucoup plus importantes. Depuis, les modifications apportées, ont
réduit le débit et la porte de fer, à la sortie de la fontaine, gêne
l'écoulement des eaux qui, de ce fait, tourbillonnent sous terre. L'hiver en
particulier on entend un bruit sourd sur l'ensemble du domaine qui n'est,
suivant la tradition, que la manifestation des efforts des eaux à la
recherche de l'air libre.
On disait encore à l'époque, dans le pays, que la source avait délivré la
ville de Montargis assiégée par les Anglais et que depuis, chaque semaine,
dans cette ville, une messe était dite en remerciements. Les événements de
1427, quatre siècles plus tard étaient encore présents dans la mémoire
populaire.
Les Anglais commandés par le comte de Warvick et le duc de Bedford
assiégeaient Montargis. Les troupes françaises du duc de Richemont avaient
réussi à reprendre le château, mais la ville demeurait encerclée. II fut
décidé d'inonder la vallée en fermant les écluses de la vallée du Loing en
aval de la ville et en rompant, en même temps, les digues des étangs de la
Puisaye, et en particulier, celle de Moutiers. Une masse d'eau de 12 pieds
de hauteur envahit la vallée et 3 000 Anglais, dit-on, périrent noyés.
Paultre des Ormes s'efforça de fournir des explications rationnelles en ce
qui concerne le débit des sources et plus conforme à la réalité historique
quant à l'inondation de la vallée du Loing. L'exploitant du domaine, homme
de bon sens, nous dit-il, se rendit à ses explications, mais il n'en fut pas
de même pour son épouse qui persista à croire aux récits mystérieux.
La
fontaine de Saint-Marien à Fontenoy
Au-dessus de l'église paroissiale de Fontenoy plusieurs sources forment ce
que l'on appelle les fontaines de Saint-Marien qui guérissaient autrefois
les maladies des hommes et des animaux, mais surtout celles des vaches et
des bœufs en souvenir, sans doute, de saint Marien. Mais Paultre des Ormes
n'a pu recueillir que la tradition sans pouvoir apporter le moindre
témoignage.
A Saint-Bonnet, une
source, un saint, une cloche
Proche de Fontenoy, mais sur la paroisse de Levis était le monastère de
Saint-Bonnet qui fut vendu comme bien national à la Révolution. La fille du
dernier fermier des moines, âgée de quatre-vingts ans, put être interrogée
par notre auteur.
La chapelle de Saint-Bonnet se dressait à l'origine près de la fontaine du
même nom, en bordure du ru de Fontenoy, le ru des Bourguignons d'autrefois,
dans une prairie marécageuse sujette aux inondations. La source existe
toujours avec ses deux bassins, l'un carré, l'autre rectangulaire mais son
débit semble avoir perdu de son importance.
Pour échapper aux inondations, on avait reconstruit la chapelle, près du
monastère, sur le coteau qui domine la prairie.
On allait et on va encore à la fontaine, dit Paultre des Ormes, pour être
guéri des fièvres ou de la maladie de la pierre, et de plus, cette eau
miraculeuse rendait féconde la femme jusqu'alors stérile.
Le son de la cloche était bénéfique et préservait de l'orage tous les
cantons voisins.
Fontaine et chapelle, proches sur le terrain, étaient toutes deux l'objet
d'une égale vénération.
Lorsque les habitants de Saint-Sauveur et de Saints, en période de
sécheresse, se rendaient en procession à la fontaine Sainte-Geneviève de
Sementron, comme il l'a été signalé précédemment ils invoquaient saint
Bonnet au passage.
La chapelle qui s'élevait en limite des paroisses de Levis, Lain, Fontenoy
et Sementron tomba en ruines avant la Révolution. Les quatre paroisses
revendiquèrent alors la statue de saint Bonnet et surtout la cloche si
efficace pour écarter les orages. La légende dit qu'au jour prévu pour le
transport, les habitants de Lain arrivés les premiers avec un magnifique
attelage de quatre chevaux, ne purent malgré tous leurs efforts, faire
démarrer leur véhicule après en avoir assuré le chargement. Ceux de Levis,
un peu plus tard, se présentèrent avec une modeste voiture attelée de deux
vaches chétives. Le chargement à peine terminé, l'attelage prit, sans
difficulté, le chemin de levis. Le choix était clair. Le saint, placé sur le
grand autel de l'église, continua à opérer ses miracles et la cloche hissée
dans le clocher, fit, comme avant, merveille dans la prévention des orages.
Le saint, la cloche et leur culte, furent ainsi transportés de la prairie de
Saint-Bonnet à l'église de Levis, mais malgré cette translation, l'eau de la
fontaine conserva ses vertus curatives et continua, comme par le passé,
d'opérer beaucoup de cures miraculeuses aussi bien sur les enfants que sur
les grandes personnes. Le culte de la source, l'emporta sur celui de saint
Bonnet et l'on ne pensa plus au saint lorsqu'il ne fut plus à proximité
immédiate de la bonne fontaine.
Remarquons que les difficultés rencontrées lors du transport rappellent
celles qui obligèrent les habitants de Villiers-Saint-Benoît à rapporter
dans sa chapelle la statue de sainte Reine après un essai malheureux de
transport dans l'église paroissiale.
Signalons également que la fameuse cloche fut sacrifiée à la Révolution
lorsqu'il fallut choisir au moment de la réquisition. Peut-être avait-elle
perdu de son efficacité dans les années précédentes! Les habitants lui
préférèrent alors l'ancienne à laquelle ils demeuraient sans doute,
sentimentalement plus attachés.
La
fontaine Saint-Prix à Saints-en-Puisaye
Sur Saints et sa fontaine, peu de renseignements nous sont apportés. Il est
dit simplement que la fontaine Saint-Prix près de l'église paroissiale
était, après celle de Saint-Bonnet, une des plus renommées pour son
efficacité dans la lutte contre les maladies.
La petite statue équestre de saint Prix, au bord de la fontaine, fut brisée
au début de la Révolution pour marquer, sans doute, la fin de siècles de
superstitions.
Moutiers, son monastère et ses deux fontaines
Parmi les nombreuses sources des environs, de l'abbaye de Moutiers, deux
seulement, Saint-Cri et Saint-Bon étaient douées de vertus curatives.
A la fontaine de Saint-Cri, autrefois protégée par une grille à l'intérieur
de l'abbaye, on portait les enfants qui criaient trop, par suite de
dérangements ou de coliques. L'auteur put s'entretenir avec des personnes
âgées, témoins de ces pratiques.
La plus célèbre des fontaines, contrairement à ce qu'affirme M. Quantin dans
son Dictionnaire archéologique, n'était pas celle de Saint-Georges, mais
celle de Saint-Bon, encore visible aujourd'hui prés des ruines de l'abbaye.
Une chapelle, dédiée à Saint-Bon, avait été édifiée près de la source et
l'on y venait en pèlerinage de tous les environs. On buvait l'eau
miraculeuse, on en emportait pour les malades, on trempait le linge dans la
fontaine et l'on recherchait la guérison de ses maux en portant une chemise
imbibée des eaux curatives. Mais, en même temps, on adressait sa supplique à
Saint Bon qui était dans sa niche au-dessus de la fontaine.
Le commerce des eaux de cette fontaine contribua pendant des siècles à la
prospérité de l'abbaye qui en avait l'exploitation. Mais la fréquentation
des pèlerinages baissa progressivement jusqu'à la destruction du monastère
par les reîtres allemands pendant les guerres de religion. Cependant, cette
destruction n'éteignit pas entièrement la dévotion des fidèles et l'on
continua à venir à la fontaine dans l'espoir d'une guérison. Mal entretenue
la chapelle finit par tomber en ruines et la statue du saint fut alors
transportée à l'église paroissiale.
La Révolution acheva l'anéantissement du culte de saint Bon à Moutiers. Les
biens de l'abbaye furent vendus comme biens nationaux et vers 1810,
l'acquéreur, lors de la destruction de la fontaine trouva, dit-on, dans les
fondations, beaucoup de pièces d'argent, « ce qui contribua à augmenter sa
fortune ».
Sainte-Langueur
de Boutissaint
Boutissaint possédait un prieuré, une chapelle dédiée à Notre-Dame et une
fontaine miraculeuse appelée Sainte-Langueur. « Dans la vingt-cinquième
année du XIXè siècle, constate Paultre des Ormes, le « Vulgaire » s'y rend
encore en dévotion pour différentes maladies. On se lave dans la fontaine,
on en boit l'eau, on y trempe le linge du malade et l'on s'adresse à une
sainte appelée Sainte-Langueur aussi inconnue du calendrier grec que du
calendrier romain ».
Les fiévreux, mais surtout les femmes, celles « dont les règles fluaient mal
» avaient recours à l'eau de la source. Aucun pèlerinage n'est mentionné.
La
fontaine de Bléneau ou des Pinchauds
Paultre des Ormes désigne sous le nom de fontaine de Bléneau, celle appelée
« des Pinchauds » par Quantin, Déy et Duranton. Cette fontaine, située à
égale distance de Bléneau, de Champcevrais et de Rogny, est, contrairement à
celles étudiées jusqu'alors complètement isolée. L'habitation la plus proche
du hameau des Pinchauds est à quelques centaines de mètres et l'église de
Saint-Eusoge, à deux kilomètres sur l'autre rive du Loing.
Curieusement, au début du XIXè siècle, pour remplacer la fontaine Saint-Bon
de Moutiers, la population de la Puisaye choisit cette fontaine, ignorée
jusqu'alors, comme nouveau lieu de culte.
On peut s'interroger sur les raisons de ce choix. Déy nous cite deux
légendes, pouvant apporter un début d'explication. La première raconte qu'un
berger souffrant cruellement d'une « darte vive » au bras, soulagé
temporairement par une fervente prière fut définitivement guéri en plongeant
son bras dans la fontaine. La seconde rapporte qu'une mère désespérée par
l'état de plus en plus grave de son enfant atteint de la « teigne » implora
saint Bon dans une fervente prière et obtint la guérison immédiate du petit
malade en lui remettant sa coiffe toute mouillée, après l'avoir trempée dans
la fontaine.
L'aménagement des lieux était sommaire et, seuls, les abords immédiats de la
source étaient protégés sur les quatre côtés par des dallages de pierres
carrées. Le bassin, maçonné, d'environ huit pieds carrés de superficie était
recouvert -d'un cadre en bois auquel les malades pouvaient se cramponner
lors du bain et qui servait d'appui aux accompagnateurs lavant le corps des
impotents.
Un « échenet » c'est-à-dire une gouttière, en bois évacuait l'eau dans le Ru
de Beaune, un affluent du Loing. A l'époque, des rangées de vernes, comme
aujourd'hui bordaient le ruisseau.
Ni sanctuaire, ni chapelle dans ce lieu pourtant voué au culte de saint Bon
et de saint Denis, seule une croix de bois fort entaillée par les pèlerins,
se dressait à proximité. Les morceaux provenant de cette croix, ainsi
recueillis, étaient précieusement conservés, on gardait ces talismans dans
sa main pendant les prières et on les portait sur soi pour se protéger des
maladies et des infirmités.
On pouvait se rendre à la fontaine un dimanche ordinaire mais c'est à la
Pentecôte, à Pâques ou à la Toussaint que l'assistance était la plus
nombreuse. Pourtant la participation semble assez limitée et l'on ne signale
qu'une vingtaine de personnes à la Pentecôte, un peu moins à la Toussaint
avec une majorité de femmes.
On y venait pour toutes sortes de maux : anémie, faiblesse, ulcères,
maladies de la peau, mais dans tous les cas il était nécessaire de respecter
des rites bien précis.
Si l'on habitait au loin on arrivait la veille à Bléneau où tous les
aubergistes pouvaient indiquer le chemin de la fontaine. Mais il fallait
être trois au minimum, le respect du nombre impair étant une absolue
nécessité. Tôt, le matin, on partait pour la source faire ses dévotions
avant de revenir à Bléneau écouter la messe. On faisait dire un évangile
moyennant quatre ou cinq sols. Bléneau était le principal lieu de
rassemblement mais rien n'interdisait d'écouter la messe à Champcevrais, à
Rogny ou à Saint-Privé si l'itinéraire le permettait.
A la fontaine, on buvait la quantité d'eau que l'on voulait, mais il fallait
en emporter pour neuf jours c'est-à-dire deux bouteilles. Chaque matin on
buvait un verre à jeun, le reste étant jeté après le neuvième jour.
On trempait aussi des chemises, mais on se limitait à une par malade,
blanche obligatoirement que l'on faisait sécher sur la haie voisine sans 1a
tordre. On l'emportait encore humide et à l'arrivée au logis, on l'endossait
pour la porter pendant neuf jours.
On se baignait aussi dans la fontaine, on y trempait les impotents, on y
lavait les parties du corps touchées par la maladie et malgré tout, l'eau
demeurait pure et potable pendant les diverses opérations, le débit de la
source étant suffisant pour entrainer les impuretés.
A chaque voyage, on faisait une neuvaine qui consistait à dire soir et
matin, pendant neuf jours, cinq Pater et cinq Ave.
Quand il s'agissait d'un enfant ou d'un impotent intransportable, on
envoyait une femme qui trempait dans la fontaine une chemise du malade et
rapportait les bouteilles d'eau indispensables pour les dévotions. La
méthode demeurait efficace et la démarche était couronnée de succès.
Un
curiste aux Pinchauds aux environs de 1830
Nous ignorons le lieu d’habitation du curiste dont Paultre des
Ormes nous conte l'histoire, la banalité du nom ne permettant pas de
localiser, même approximativement, l'origine de la famille.
Pierre Breuillé, dans sa vingtième année avait une maladie de peau appelée,
tantôt « darte vive » tantôt « éléphantiasis », affectant la cuisse et la
jambe, et qui le rendait impotent, en janvier et février, période de grand
froid. Toute la peau suppurait et notre malade marchait, courbé, à l'aide de
béquilles. Après un traitement médical la maladie, loin de s'atténuer,
s'était étendue aux bras, ce qui rendait les déplacements encore plus
difficiles. Pourtant la douleur n'était pas très vive, notre patient avait
bon appétit et dormait bien.
Les remèdes étant inefficaces, Pierre Breuillé eut recours à la fontaine et
fit quatre neuvaines pendant trois ans. La première année il accomplit deux
voyages l'un à la Pentecôte, l'autre à la Toussaint, mais se contenta d'un
seul, 1e jour de la Pentecôte, les deux années suivantes. A chaque fois, il
respectait rigoureusement le rituel en vigueur.
Le dernier voyage fut effectué en voiture, tirée par une jument, en
compagnie du frère et du beau-frère, pour respecter la règle du nombre
impair. Le malade, tenu sous les bras par ses deux compagnons, fut plongé
jusqu'au cou dans la fontaine sans pouvoir en toucher le fond.
Deux ou trois mois après cette dernière neuvaine, Pierre Breuillé abandonna
ses béquilles et un an après, il était complètement guéri. La fontaine avait
réussi, là où tous les remèdes utilisés avant la première neuvaine avaient
échoué.
Quelques remarques
Les notes de Paultre des Ormes qui ne concernent qu'une partie de la
Puisaye, nous apprennent qu'au début du XIXè siècle les bonnes fontaines
n'étaient plus aussi nombreuses que pourraient nous le faire croire certains
articles. Beaucoup de pratiques séculaires avaient déjà disparu avant la
Révolution et seule la tradition orale en conservait le souvenir. Quelques
fontaines connaissaient encore une certaine fréquentation mais ne donnaient
pas lieu à des manifestations publiques. On allait à la fontaine comme on va
aujourd'hui chez le médecin généraliste, quitte dans les cas graves ou
rebelles à se rendre dans un lieu plus spécialisé. II y avait toujours
dévotions à la fontaine et participation aux cérémonies religieuses dans
l'église la plus proche, mais aucune procession n'est évoquée et la présence
d'un prêtre près de la fontaine n'est jamais signalée.
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