Charny et ses racines
- J’ai une surprise pour toi, confie Charles à son père.
- Bonne, j’espère
- Je crois que ça te plaira. J’ai trouvé un dossier concernant les
origines de Charny. Tu es bien natif de là?
- Oui, on peut voir?
- Bien sûr! Voici le document en question précise le garçon en exhibant
une liasse de feuilles un peu chiffonnées et reliées entre-elles par des
agrafes rouillées.
Charny située aux confins de la Bourgogne et du Gâtinais était
considérée, avant la Révolution, comme faisant partie de la Champagne.
Bizarrement, elle était rattachée au bailliage de Troyes. Le bailliage,
comme chacun le sait, était avant 1789 l’institution rendant la justice
sous la présidence d’un bailli. C’était le tribunal de l’époque.
Jusqu’à la fin du XVC siècle on disait Charny-en-Hurepoix, tout comme le
château de Montigny était connu sous le nom de Montigny-en-Ilurepoix.
Par contre Dicy et Villefranche, pourtant toutes proches, étaient
dénommées “en Gâtinais”, ainsi que Grandchamp et Villiers-St-Benoit.
L’appartenance à la juridiction de l’Aube découlait de la volonté des
justiciables, l’administration ne participait à la désignation du
bailliage que pour l’enquête précédant l’installation. Le choix en
incombait uniquement aux administrés.
Avant 1789 les appels au bailliage de Troyes se faisaient de La Ferté et
non de Charny qui était nettement moins peuplée.
Précédemment, à titre transitoire, le village de Charny dépendait du
bailliage d’Orléans, tout en étant régi par la coutume de Lorris.
Un antagonisme aux origines obscures, datant doute de rivalités
tribales, opposait les Charnycois et bien d’autres à Auxerre, leur
faisant adopter Troyes ou Orléans pour la conclusion de leurs affaires.
C’est la raison pour laquelle il est inutile que les gens de la région
aillent rechercher au chef-lieu actuel, l’origine de leurs lointains
ancêtres.
Sur le plan architectural Charny a connu des périodes difficiles, avec
les différents sièges afférents à la guerre de cent ans mais aussi à la
suite du terrible incendie du samedi 24 juillet 1706 qui détruisit les
trois-quarts du village. La première pierre de l’église actuelle ne fut
posée que 29 ans après le sinistre c’est-à-dire en 1735 et terminée en
1737. Cependant le bourg existait bien avant cette époque douloureuse.
On retrouve en effet dans un texte de l’abbaye des Echarlis datant de
1130 une information relative au nom du village: c’était Caarnetum puis
Catarnetum. L’élaboration possible de cette appellation dérivant
probablement de Castra Alnetum (château de l’Aulnaie).
Le site du village était situé dans un lieu humide en leger contrebas de
la rivière. On évalue le remblai actuel à environ 70 centimètres. Le
passage de la rivière s’effectuait à hauteur de Ponnessant. Les secteurs
humides de la vallée de l’Ouanne ont reçu cette terminaison synonymes de
leur état comme le château de l’Aulnaie, la Motte aux Aulnaies et
Launay, devenue Chantereine, avec certes, des orthographes différentes
mais ayant la même origine, Alnétum, (L’aulnaie).
La région est déjà peuplée au VIème siècle: Villiers-Saint-Benoit un peu
plus tardivement Grandchamp en 638, Villefranche au VIIème siècle,
Saint-Martin-Sur-Ouanne et Ponnessant au IXème siècle.
Quelques domaines sont érigés sur les coteaux et la plaine est
défrichée. Frécambault, Cocico et Villiers d’Amont voient le jour, tous
trois sont d’essence carolingienne.
Frécambault est dérivé de friccan: l’homme libre, Cocico de la cour de
sicaud: de Sigwald (celui qui obéit à la victoire), Villiers-d’Amont
appelée Villa Emonis au moyen-âge viendrait de mund (foyer) et haim
devenu hameau.
Le gué de l’Ecrevisse servait de réserve au seigneur du château de la
Motte-aux-Aulnaies. Ce sont les Francs qui introduisirent les écrevisses
en Gaule.
La région recelait en son sol du fer exploité à ciel ouvert. C’étaient
les ferriers, minerai de piètre qualité, et ce n’était pas l’âge d’or.
Le centre de ces exploitations se trouvant à Ferrières en Gâtinais, la
desserte des différents sites s’effectuait par le chemin des Bœufs qui
passait dans notre région. Des Blondeaux à Bois-Ramard, il joignait
Douchy par Ronchefer également centre ferrier, comme son nom l’indique.
Au quinzième siècle le chemin des Bœufs deviendra la sente des
Bourguignons en raison de sa fréquentation par les hordes de
Bourguignons alliés des Anglais.
La guerre de cent ans ravagea la région.
Fontaines était un village important situé dans les bois à un kilomètre
au nord des Echarlis sur Villefranche. Il fut détruit entièrement par
les Anglais et sa population décimée.
La châtellenie de Charny s’étendait aux paroisses adoptant le même
système des poids et mesures soit La Motte, Prunoy, Malicorne,
Fontenouilles et Saint-Martin. C’était la préfiguration du futur canton.
Le seigneur de l’époque Fromond de Charny régentait ce secteur vers
1130, son successeur sera Renaud de Courtenay seigneur de Montargis et
de Charny.
Les faubourgs du village comprenaient au nord-ouest une maladrerie
située vers le pâtis, c’était l’infirmerie réservée aux malades de la
région. On l’appelait la maladrerie Saint-Lazare accessible par la rue
Saint-Ladre. Par ailleurs, à partir de 1276 les patients en provenance
de l’extérieur étaient dirigés sur l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, car on
pouvait toujours redouter qu’ils ne fussent contagieux. Personne ne
connaît à Charny quelle fût la position exacte de cet établissement.
Ces deux petits établissements possédaient chacun quinze lits, lIs
avaient leur cimetière particulier, leur personnel et des revenus
provenant de leurs terres plus une fondation. Leur autonomie financière
leur permettait d’assurer gratuitement des soins 360 jours par an. Il y
a de cela plus de sept siècles!
L'hôtel-Dieu ne survivra pas à la période des sièges.
Les voies connues étaient la Grande Rue, le grand chemin Charny-Prunoy
dont le tracé se situait au sud de la route actuelle au-delà du passage
à niveau et la porte aux Grox, probablement au nord du bourg. Il y avait
également le chemin du Pont à la Ferté Haute et la porte Becquin.
On ignore la situation géographique exacte de ces divers accès. On
remarque seulement que la porte aux Grox peut être traduite par Groes
c’est-à-dire graviers ou bien encore Crots, c’est à dire grottes ou
souterrains. Si l’on s’arrête à ces conclusions on suppose que cette
ouverture sur l’extérieur se situait à l’est du bourg. En effet le
village était entouré de fossés et de murailles assurant sa sécurité. La
porte Becquin aurait été, quant à elle, une issue ouvrant sur un moulin
à tan, donc à l’ouest de la ville.
Les templiers possédaient leur faubourg hors de l’enceinte.
L’entrée ouest du pont était gardée par un château, le Bignon. On
appelait Bignon une source importante alimentant un plan d’eau. Le
château a disparu mais ses dépendances ont survécu, c’est le Clos
actuel. Les deux caves, la basse et la haute, dépendaient de la même
demeure féodale.
Les seigneurs de Chêne-Arnoult, les Corquilleroy possédaient également
une résidence sur la châtellenie de Charny, le château d’Arrabloy devenu
Rablay.
Les templiers exploitant les ferriers possédaient, outre la Commanderie
de Chambeugle qui était leur camp de base, des extensions locales à la
Grange Rouge de Prunoy et la Grange Rouge de Saint-Martin-sur-Ouanne. La
croix rouge, emblème des templiers, apposée sur la porte de la grange
est à l’origine de la dénomination de ces lieux.
A la Grange Rouge de Prunoy les templiers avaient rasé les bois
permettant aux chercheurs de fer d’exploiter le minerai sauf le bois de
Marolles, réservé comme futaie pour fournir du bois d’œuvre.
Un chemin, encore existant de nos jours, conduisait de la Grange-Rouge à
la forge des Moulins Neufs en passant par Cocico. Les moulins neufs,
situés près de la passerelle conduisant aux prés de l’Érable,
deviendront par la suite le moulin de la Ville puis l’Ancien Moulin de
nos jours.
Le bourg possédait un moulin plus ancien, le moulin de la Gravière.
Les habitations les plus confortables, entourées d’une courtille étaient
situées rue Saint-Ladre. Les censives (charges) que les habitant
devaient payer à la ville étaient le double de celles réclamées aux
demeures plus modestes.
Les Templiers de Chambeugle s’opposèrent dans un procès au seigneur de
Prunoy au sujet d’un droit d’usage dans les bois de la Grange Rouge
débordant sur Prunoy. Un autre différend intervint entre les mêmes
Chevaliers et le curé de Charny au sujet de la perception des dîmes des
Cisterciens de Fontaine-Jean.
Au XIIème siècle le passage traditionnel par la Voie Creuse à Ponnessant
fut peu à peu délaissé au profit du pont de Malicorne, des Gués et du
ravin des Oiseaux pour finalement s’effectuer de façon définitive par
Charny et son pont. Les déviations s’effectuèrent alors au bénéfice de
Charny. Le passage Sommecaise, Perreux, Ponnessant, entre-autres, sera
délaissé par les Templiers et les Cisterciens. Les pèlerins venant de
l’est en route pour Compostelle emprunteront le nouvel axe. Le bourg
s’allongera en direction du pont et sa population s’agrandira.
Au XIIème siècle un enfant de Charny deviendra archevêque de Sens, il
s’agit de Pierre de Charny. Né, en ce village, de parents modestes le
futur prélat devint sur recommandation des seigneurs de Courtenay,
précepteur des enfants d’une famille seigneuriale de Montereau: les
Cornut. Le frère aîné de ses élèves fut nommé peu après archevêque de
Sens et intercéda auprès du pape Urbain lV (un Français originaire de
Troyes) en faveur de son protégé. Le pape en fit son camérier et,
satisfait, le sacra archevêque à Rome en 1267 pour remplacer son
bienfaiteur, l’archevêque de Sens, parvenu à la retraite. Nanti d’une
lettre de recommandation pour Saint-Louis, le nouveau nominé revint à
Sens avec le pallium offert par le pape pour constater la chute de la
plus belle tour de la cathédrale qui s’était écrasée sur le palais
archiépiscopal. C’est d’ailleurs lui, qui en ordonnera la
reconstruction.
Il est inhumé à l’entrée du chœur de la cathédrale de Sens.
Le nouvel archevêque n’avait pas oublié sa petite patrie. Entre 1267 et
1274 il avait fondé une chapelle Saint-Nicolas en l’église de Charny et
l’avait dotée de ressources suffisantes pour l’entretien permanent de
deux chapelains. L’accès principal de l’édifice était orienté au sud et
sa nef s’allongeait à l’ouest. Chapelle et nef devaient être au nord de
l’église, probablement sur l’emplacement de la rue de l’église ou
peut-être sur l’emplacement de l’actuel local réservé au bureau de
l’aide ménagère.
Un petit cimetière entourait le bâtiment.
Charny devait compter alors près de 2000 habitants.
Aux alentours de 1300 la châtelaine de Charny, Mathilde Mahaut d’Artois
entretenait un bailli, Thomas Brandon, ainsi qu’un prévôt et des
sergents, un garde du scel, deux notaires et des tabellions. (Le prévôt
équivaut à notre chef de brigade, les sergents aux gendarmes, le garde
du scel au secrétaire de mairie et les tabellions aux clercs de
notaire).
Le village possédait des halles, son péage et les responsables de ces
fonctions étaient affermés tous les deux ans.
Mathilde d’Artois était la petite nièce de Saint-Louis. Demeurant en
résidence principale à Arras, elle aimait séjourner dans notre village,
auquel elle réservait ses achats. Le mercier local mais aussi le
serrurier et plus inattendu, le joaillier s’honoraient de sa clientèle.
Elle se fit même confectionner une robe par le tailleur du bourg, alors
qu’elle en possédait de bien plus luxueuses.
Du 9 au 12 janvier 1309, elle accueillit le roi Philippe le Bel qui
séjourna pour la première fois dans notre ville.
La châtelaine ne badinait pas avec le règlement féodal, l’un de ses
vassaux, un Corquilleroy, ayant refusé son tour de garde au château de
Charny, elle envoya ses sergents se saisir de son fief qui semble être
Troussechien (Tuchien). En 1310, Mahaut d’Artois cédait la châtellenie
de Charny ainsi que celle de la Motte de Châteaurenard à Philippe le Bel
lequel revint dans notre localité en janvier 1312. En 1316, la ville
revenait par donation à Jean de Beaumont, seigneur de Sainte-Geneviève
des Bois près de Châtillon. Ce Jean de Beaumont avait été maître d’hôtel
des rois Louis X, Philippe V et Philippe VI, c’est à dire qu’il était
gardien des châteaux royaux.
En janvier 1332, il recevait à Charny le roi Philippe VI de Valois, ce
sera le deuxième et dernier monarque à honorer notre cité de sa
présence. Lors de cette royale visite 3000 personnes accompagnaient Sa
Majesté, elles furent sans doute logées dans les châteaux environnants.
Performance impensable pour le Charny actuel.
En 1320, le châtelain était convoqué pour un projet de croisade.
La châtellenie sera saisie en 1329 à la suite d’une accusation
d’assassinat portée contre son fils, Pierre. Ce qui n’empêchera pas ce
dernier de succéder à son père après acquittement et récupération de ses
biens en 1337 au début de la guerre de cent ans.
La peste noire réduira la population d’un tiers en 1349 et 1350. Près de
six cents villageois périront à Charny. A Douchy toute activité cessera
à la suite de cette épidémie. A Saint-Martin-sur-Ouanne on sera obligé
de créer un nouveau cimetière au centre duquel sera érigée plus tard la
chapelle Notre-Dame de Pitié. (voir Ciel de Puisaye page 119).
En 1367, le nouveau seigneur échangea sa châtellenie en raison d’un
autre crime, commis cette fois par un cousin, ce qui entraîna sa
disgrâce. Il garda toutefois Frécambault. Charny était prospère,
possédant son moulin à tan à la Gravière mais aussi des dizaines de
foulons. (les travailleurs écorçant les chênes, appelés écorciers ont
d’ailleurs laissé leur nom à la ferme des Corciers).
La guerre de cent ans apporta la désolation avec l’arrivée du
sanguinaire capitaine anglais Robert Knolles (Toussaint 1358, début
avril 1359). L’envahisseur avait le soutien de seigneurs fidèles à
Charles de Navarre, rallié aux Anglais.
Contrairement à ce que l’on a pu dire et écrire à ce sujet, la place
forte de Malicorne tomba par traîtrise. Pour se faire ouvrir la porte,
Knolles s’était recommandé de la maîtresse des lieux, Marguerite de
Courtenay disciple des dissidents, en résidence à Saint-Vérain dans la
Nièvre. Les défenseurs baissèrent le pont-levis en toute confiance et se
firent massacrer en dépit de leur tardive résistance.
Malicorne qui comptait alors plus de 850 habitants était plus peuplée
que Saint-Martin. Maltraités, les survivants du village se réfugièrent
au château de Courfault à Douchy et à Charny à l’abri des remparts.
Knolles mit à profit la neutralité coupable d’Arnaud de Cervolles, dit
l’Archiprêtre, pour occuper et piller toute la région et même Auxerre.
Les Charnycois passèrent un trimestre pénible, en plein hiver avec des
tueurs sous leurs murs. Mais le seigneur du lieu, Pierre de Beaumont,
sut organiser la résistance au point d’impressionner l’adversaire qui ne
tenta aucune attaque d’envergure. L’ennemi ne donnait en général
l’assaut que si le butin espéré était assez conséquent pour motiver ses
hommes.
En un trimestre, le sinistre Anglais fit plus de ravage dans la
population que l’épidémie de peste dix ans auparavant.
Une paroisse, Beilleu près de Champignelles est rayée à tout jamais de
la carte, son site même nous reste inconnu. Cleye, en aval de
Marchais-Beton connaît le même sort. Quand Knolles abandonne son repaire
de la motte de Malicorne au mois d’avril, il ne laisse derrière lui que
des ruines. Au passage, il détruit Fontaine-Jean et la vieille ville de
Châtillon. Quand il arrive à Châteauneuf-sur-Loire sa trace immonde a
marqué son itinéraire. Nos ancêtres dénommèrent cette funeste voie le
Chemin des Normands.
Le roi Charles V proclame la forfaiture de Marguerite de Courtenay et
lui retire ce qui reste de la seigneurie de Malicorne pour en faire don
au maître de Charny (1360).
Le seigneur de Charny, Pierre de Beaumont et sa femme Jacqueline Le
Bouteillier, paieront de leur personne et de leurs deniers la
restauration des hameaux. Ils vendront même leur manoir d’Egreneuille au
coeur de la Brie pour subvenir aux dépenses.
Trente ans après, la région encore exsangue, la campagne en friches et
même en broussailles, n’avait toujours point retrouvé son aspect
primitif. Les deux tiers de la population avait fuit ou péri.
Et la guerre, celle de cent ans, continua. Des combats épisodiques
ensanglantèrent la région pendant une génération.
Le premier mars 1367, le roi Charles VII intervint pour que s’effectue
un échange de propriété entre le seigneur de Charny et Bureau, sire de
la Rivière. Aux termes de cet accord, la châtellenie de Charny et tous
les biens y afférents, fiefs et arrière-fiefs, haute justice, moulins,
eaux, rivière, garenne, vignes, droit de mainmorte et de formariage,
corvées; etc... furent remis à de la Rivière... H remit en échange le
fort d’Angerville et de la châtellenie de Orez en Gâtinais.
Bureau, c’est son prénom, était premier chambellan du roi et devint
rapidement l’un des principaux ministres de Charles V. II était l’égal
sur le plan civil de ce qu’était Duguesclin sur le plan militaire.
Le nouveau seigneur, protégé du roi, homme d’âge mûr avait pour épouse
une enfant de quinze ans.
Quand Charles V mourut, Charles VI n’était encore qu’un enfant et c’est
De La Rivière qui fut désigné pour assurer la régence pendant la
minorité du souverain.
Charny peut donc s’enorgueillir d’avoir hébergé un temps le maître de la
France. Devenu majeur, le jeune roi confirma Bureau dans ses fonctions.
C’est donc à l’instigation de ce dernier que le premier novembre 1387
fut convoqué à Malicorne le ban destiné à concevoir une possible
invasion de l’Angleterre. Le lieu de cette réunion des vassaux du roi se
voulait être un symbole en hommage à la cité martyre.
Lorsque Charles VI sombra dans la folie en 1392, sa cour malade de
jalousie fit emprisonner le seigneur de Charny. Mais Bureau de la
Rivière était si efficace dans ses fonctions qu’il fut rapidement libéré
et réintégré à son poste.
Lorsqu’il mourut le 16 août 1400, le roi, dans l’un de ses rares moments
de lucidité, exigea qu’il soit enterré à Saint-Denis près de Charles V.
De ses quatre enfants, l’aîné, Charles, filleul de Charles V, reçut en
partage la seigneurie de Charny.
Nous savons qu’à cette date Charny possédait une école. Le maître, pour
des raisons qui nous sont inconnues, sera assassiné.
Dans leurs terres en friches, les paysans, avant de reprendre une mise
en culture difficile en raison du manque de bras, multiplièrent les
ruchers. On découvre là l’origine du miel du Gâtinais. La cire était
acceptée comme moyen de paiement au même titre que la monnaie.
En 1421, les Anglais emmenés par leur roi effectuèrent le raid le plus
destructeur de toute la guerre, faisant la terre brûlée sur leur
passage, de Nogent-sur-Vernisson à Sens en passant par Douchy. Charny
avait alors senti le frisson de l’angoisse, le désastre était passé bien
près.
En 1424, Anglais et Bourguignons infligèrent une sévère défaite aux
troupes du Dauphin. Les Bourguignons prirent Toucy et brûlèrent une
partie de la population dans l’église. C’est à cette époque que le
chemin des Bœufs deviendra sente des Bourguignons. Les Dauphinois en
état d’infériorité pratiquaient avec succès le harcèlement de l’ennemi
par attaques rapides, évitant l’affrontement de forces importantes. Ils
avaient inventé la guérilla.
Le seigneur de Châtillon et de Saint-Maurice-sur-Aveyron dont les terres
s’étendaient jusqu’à Briare s’opposait aux troupes royales en raison de
ses origines bourguignonnes. C’est pourquoi les offensives des forces
loyalistes partaient de Chateaurenard. Ces troupes transitaient par
Charny dont le gouverneur militaire, Durand des Barres, parent du
seigneur de Hautefeuile, avait également la responsabilité des affaires
militaires de Châteaurenard.
Les seigneurs fidèles au Dauphin, épaulés par les Dauphinois et les
Armagnacs portaient des coups à l’ennemi Bourguignon, à partir de la
base avancée de SaintMaurice-Thizouaille. Ces coups de mains les
conduisirent jusqu’à Avallon et même en Auxois. L’adversaire qui ne
restait pas sans réagir, ayant testé la fiabilité des défenses de
Châteaurenard et de Saint-Maurice-Thizouaille, reportait ses efforts sur
Charny porte de la Bourgogne.
De 1422 à 1427 Charny changera six fois de mains.
En 1425 Guillaume de La Baume, capitaine de Châteaurenard et de Charny
qui opérait en Auxerrois est fait prisonnier. Il obtient sa libération
en promettant de livrer Charny. Mais les otages retenus dans une tour de
Sens en caution de ce marché, s’étant évadés. De La Baume, libéré de ce
souci, refuse de livrer la ville. On le retrouve en 1426, avec ses
soldats couverts de peaux de loups, pourchassant les Bourguignons en
Auxerrois. Furieux, l’ennemi s’empare de Charny et y place une garnison.
En 1427, durant l’été, les Anglais assiègent vainement Montargis. Les
gens du Dauphin prennent Douchy puis Chevillon et par une allée
forestière connue d’eux seuls gagnent Sommecaise. En janvier 1428 la
garnison de Châteaurenard s’empare du messager du duc de Bourgogne. Sur
sa lancée Durand de Barres reprend Charny au mois d’avril.
Les Bourguignons qui ont une troupe importante à Joigny reviennent à
l’assaut, dévastant Chevillon au passage qui sera anéantie pour 60 ans.
Le 10 mai Charny tombe, alors que la compagnie de Châteaurenard,
commandée par Alain Giron, guerroie du côté de Tonnerre. La situation
est désespérée pour Charny et sa région. Pendant ce temps les Anglais
assiègent Orléans. On est fin février 1429. De Charny à la Loire tout
est aux mains des bourguignons.
Une petite troupe de cavaliers guidée par Colet de Vienne dont la
famille a donné son nom au château de Prunoy, progresse discrètement
d’est en ouest. Parmi les cavaliers se trouve une toute jeune fille se
nommant Jeanne d’Arc. Venant d’Auxerre le groupe passe par Sommecaise,
La Ferté Loupière, Chevillon en empruntant des allées forestières hors
de vue des postes Bourguignons. Nous ne parlerons pas de
Saint-Romain-le-Preux et Sépeaux entièrement détruites et dont il ne
reste que des ruines fumantes.
La garnison de Châteaurenard composée de nombreux bretons reprend Charny
aux Anglais.
Surienne l’Argonnais venu du sud de l’Auxerrois à la tête d’une forte
troupe s’empare du château de Montargis et de la ville en juin 1433. De
cette tête de pont il lance des attaques éclairs dans toutes les
directions, copiant la tactique adoptée par Armagnacs et Dauphinois
lorsqu’ils étaient en infériorité numérique. L’un de ses subordonnés,
Thomassin Duquesne surprend la garnison de Charny et s’empare de la
ville qu’il remet aux Anglais.
Mais le venta tourné, désormais les Français sont les plus forts. En
juillet 1437, l’armée du connétable de Richemont investit Charny qui
sera définitivement libérée. Les Anglais qui se rendent sans combattre
sont autorisés à rejoindre le gros de leurs forces avec armes et
bagages.
En 1438 la famine décime la population charnycoise déjà bien réduite.
Un inventaire établi en 1423 en vue de la succession du seigneur Charles
de La Rivière révèle l’état de délabrement du bourg de Charny.
Du château, il ne reste que des pans de mur, les murailles sont
éventrées. Toutes les maisons sont détruites, y compris le Bignon (Le
Clos), les terres sont envahies par les ronces. Les moulins, la
tannerie, les fermes sont rasées. Du village, il ne reste qu’une
vacherie et la maladrerie mais pas une seule âme qui vive. C’est un
champ de ruines. Les survivants se sont réfugiés à l’abri des murailles
de Champignelles, de Châteaurenard et même de Courtenay. La Motte aux
Aulnaies est également rayée de la carte.
Les premiers habitants ne reviennent que quelques décennies plus tard et
le premier notable connu Guillaume Ramard sera enterré à Charny en 1471,
soit 34 ans après la dernière libération de la bourgade.
Pendant un demi-siècle Charny ne sera qu’un hameau et Marchais-Beton,
Fontenouilles, Sommecaise seront hélas à la même enseigne. Il faudra
attendre 1495, 1500 pour que ces villages renaissent de leurs cendres.
Le drapier Jacques Coeur, argentier de Charles VII et donc ministre des
finances de l’époque s’intéressait aux domaines en ruines, Il les
achetait à vil prix et tout paysan s’installant pour défricher le sol
redonnait une valeur au bien acquis sans qu’il en coûta un denier au
seigneur.
L’illustre financier avait spéculé un peu prématurément. Arrêté sur
ordre de Charles VII, Jacques Cœur ne profitera pas des plus-values.
Accusé par le roi des écorcheurs, Antoine de Chabannes, de diverses
malversations, entre autres d’une tentative d’empoisonnement d’Agnès
Sorel, il sera emprisonné et son accusateur se verra attribuer la
châtellenie de Charny en 1454.
Jacques Cœur s’évada après trois années de détention et se réfugia
auprès du pape.
Lorsque Charles Vil mourut, son fils Louis XI fit arrêter à son tour De
Chabannes et redonna à Geoffroy, fils de Jacques Cœur les biens saisis.
Cependant après maintes tribulations, plus invraisemblables les unes que
les autres, la famille Cœur fut dépossédée une nouvelle fois et de
Chabannes qui s’était échappé de la prison récupérait Charny.
Assagi, le nouveau propriétaire fait construire le château de
Saint-Fargeau en 1467 et participe à la restauration du bourg. En 1485,
il entreprend la reconstruction de Charny qui en a bien besoin, le
village étant resté inhabité pendant un demi siècle ne compte plus alors
que 200 habitants.
Les maîtres successifs de la châtellenie s’emploient activement à la
renaissance du village. Pierre de Gouzolles, seigneur de la Gruerie et
du Clos (nouveau nom du Bignon), bailli de Saint-Maurice et Charny mène
à bien cette tâche de 1490 à 1525.
A cette époque, la famille de Montigny prend possession du château de
Ferreux auquel elle laissera son nom.
En janvier 1541, François 1er érige les châtellenies de Saint-Fargeau et
de Charny en comté au profit de Nicolas d’Anjou.
Les nouveaux maîtres se font appeler seigneurs de Saint-Fargeau et de
Puisaye au grand dam de Charny qui voit en outre son château délaissé.
En 1539, François 1er effectuant dans la région un voyage itinérant aux
multiples détours évite manifestement Charny, qu’il trouve probablement
indigne d’abriter sa précieuse personne.
Charny vit un peu à l’ombre de Saint-Fargeau jusqu’à la mort d’Henri de
Montpensier grand-père de la grande Demoiselle, nièce de Louis XIII.
Cette dernière avait un demi-frère né d’une union adultère. La grande
demoiselle sollicita et obtint de son cousin le roi Louis XIV, la
châtellenie de Charny au profit de ce frère qui en prit possession avec
le titre de comte de Charny.
Après viennent les Crèvecoeur, les Texier de Hautefeuille.
En 1801 Charny comptait 794 habitants, La Ferté-Loupière 1196,
Grandchamp 889, Perreux 816, Villefranche 825 et Saint-Martin 746.
- Voilà papa, c’est terminé.
- Mais c’est très bien, mon fils, je ne te savais pas si féru
d’histoire.
- Je n’ai aucun mérite, j’ai simplement feuilleté les travaux de
quelques contemporains qui eux se sont véritablement plongés dans des
investigations longues et parfois fastidieuses.
- Et qui sont-ils?
- Monsieur Paul Gache de Châteaurenard qui a fait de nombreuses
conférences sur ce sujet et dont presque tous les foyers possèdent un
compte-rendu. Mais aussi madame Henriette Vigreux et monsieur Jean Gabin
anciens enseignants à Charny qui ont écrit à diverses reprises sur ce
sujet. J’ai volé un peu les travaux de ceux qui se sont penchés sur nos
origines et ont développé à travers leurs écrits le résultat de leurs
recherches. Parmi eux, n’oublions pas la regrettée mademoiselle Hénault,
passionnée d’histoire locale.
La famille Simon toujours unie, mène de nos jours une existence paisible
dans un petit village blotti au pied d’un vallon égaré au cœur de la
Puisaye.
Octave et Léontine sont bien âgés maintenant, mais leur esprit est
toujours vif et le grand-père garde l’œil plein de malice, son cœur ne
lui cause plus aucun souci.
Edmond et Yvonne pensent à la retraite. Ils espèrent pouvoir dès lors
s’adonner pleinement leur passion. Peut- être qu’un jour prochain ils
reviendront nous conter le résultat de nouvelles recherches.
Charles est enseignant. Hélène a un petit copain, elle s’est assagie et
sa mère est très fière d’elle, elle sera médecin.
Bertrand et Jean sont toujours camarades. Ils ont renoncé à la terre,
mais ils ont gardé l’amour des grands espaces et de la liberté. Le
premier est officier des Eaux et Forêts (plus simplement garde
forestier). Le second, facteur rural.
Les amis sont toujours les amis et à la table d’Yvonne la
tarte aux poireaux est appréciée.
Pierre JEAUNEAU - Yonne, Terre de Passion
Ouvrage édité par l'auteur en Juin 2003
|