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LES CAVES AUX CHÈVRES

 " Les Caves aux Chèvres " : on ne vit jamais de chèvres à cet endroit. Cependant, du plus profond des âges remonte une légende racontée à la veillée par les anciens qui ont fait perdurer le mystère de ce lieu.
A l'époque féodale, les seigneurs guerroyaient beaucoup afin de plier leurs vassaux à leur céder quelques fiefs, d'autre part, ils faisaient trimer les pauvres serfs qui devaient payer dîme et gabelle, et se contenter de ce qui pouvait rester. Les domaines très importants, sertis de forêts giboyeuses faisaient de la chasse, le passe-temps favori des seigneurs, qui au retour, organisaient grande ripaille. Dans les immenses cheminées rôtissaient cuissots de chevreuils et de sangliers, tandis que trouvères et jongleurs animaient la veillée.
Geneviève, la fille de l'un des seigneurs, loin de ces festins, rêvait en haut de la tour du donjon en fredonnant une ballade que semblait seule entendre la levrette couchée à ses pieds. Elle aimait la chasse et s'exerçait à la fauconnerie, c'est au cours d'une séance de dressage de faucons qu'elle aperçut Savinien le fils de l'autre suzerain, il était sur un chemin limitant les territoires.

Dès qu'il vit Geneviève, il arrêta son cheval et la salua, en soulevant galamment son couvre-chef, la trouvant très jolie.
Elle, de son côté, fît un léger signe de la tête, troublée, il était très séduisant, dommage que les deux seigneuries soient en mauvais termes, ils auraient aimé se revoir.
Peu de temps après une bande de pillards assiégea les deux châteaux qui n'étaient séparés que de quelques lieues, chacun se défendit du mieux qu'il pût. Les pertes furent importantes de toutes parts.
Dans un autre endroit en direction de "Curcellae" (Courceaux) existait une grotte, où se cachaient quelques pauvres hères qui n'étaient pas du tout appréciés des seigneurs, ils les soupçonnaient de jeter des mauvais sorts aux chevaux, quand ils s'aventuraient sur leur territoire.

Ceux qui voulaient conjurer le malin ne revenaient jamais, séquestrés dans les entrailles de la terre. D'autres affirmaient avoir vu les soirs de pleine lune des bêtes étranges ressemblant à des chiens, mais avec des cornes, grimper aux arbres, et gambader comme des biches apprivoisées. Une femme mystérieuse dansait et chantait au milieu d'elles. La danse terminée, elle s'en allait chercher une écuelle pour recueillir le lait qu'elle tirait des mamelles de ces animaux bizarres. L'opération terminée, elle lançait un cri que répétait l'écho " oyez ! oyez ... ! ".
Aussitôt, de la forêt surgissaient des personnages plus hideux les uns que les autres, s'aidant de béquilles, où agitant une crécelle, instrument qui servait à signaler les lépreux et à éloigner les mauvais esprits des bois.

Ils se rassemblaient autour du feu en attendant la distribution du lait puis repartaient comme ils étaient venus, discrètement, en se noyant dans la nuit noire. Ils ignoraient qu'à quelques lieues de là une guerre faisait rage, Savinien et son père se battaient pour garder leur terre que convoitait Messire du Mée.
Dans le feu de la bataille, Savinien se trouva isolé et fût poursuivi à travers la forêt par une horde de guerriers et de chiens. Dans sa fuite effrénée, il ne vit pas une grosse branche qui le désarçonna et entrzîna sa chute, le cheval partit au galop, le laissant inanimé près du Rû de la Couée qui en ce temps était un large ruisseau.
Quand i1 revint à lui, tout semblait désert, les chiens avaient perdu sa trace. Il essaya de se relever, mais en vain, l'épaule fracturée et sûrement une jambe, il sentait le sang couler sous sa cotte de maille, la douleur était telle qu'il s'évanouit à nouveau.

Plus loin, au lieudit " La Cave aux Chèvres ", les manants s'apprêtaient à aller quérir de l'eau au gué armés de gourdins, de frondes au cas où ils trouveraient du gibier, ce qui leur était interdit, sur les terres du seigneur. Tous passaient outre, s'ils ne voulaient pas mourir de faim, lapins et parfois sangliers amélioraient l'ordinaire.
Ils prirent quelques torches et s'engagèrent dans des sentiers seulement connus d'eux.


Ils marchèrent pendant une lieue ou deux, quand tout à coup la troupe stoppa, ils crurent entendre un gémissement venant d'un fourré, pensant trouver une bête blessée ou prise au collet. L'un d'eux s'approcha et distingua une forme allongée, face contre terre ; la soulevant doucement, stupéfait, il reconnut le Sire Savinien pour l'avoir vu guerroyer et quelquefois chasser.
Ils coupèrent des branches d'arbres et confectionnèrent une litière pour le transporter à la Cave aux Chèvres.

La petite troupe reprit le chemin du retour, sans oublier de ramasser les lapins pris aux collets, une lune blafarde grimaçait au travers des branches et semblait jouer avec les personnages qui apparaissaient tantôt gigantesques ou rabougris parfois unijambistes.
Leur repaire atteint, la femme étrange vint au devant d'eux en faisant des grands gestes, femme ou diable, belle ou laide, on ne distinguait pas ses traits, le feu presque éteint n'éclairait plus son visage, à moitié caché par une opulente chevelure noire.
Elle se demandait pourquoi ils rentraient si vite, et fût stupéfaite quand elle reconnut Messire Savinien mourant ; drôle de visite Sire " voyez votre peuple si miséreux, qui meurt de faim. Non vous ne voyez rien, Vous êtes trop mal en point." "Allez me chercher les onguents, pour panser ses plaies et donnez-moi une écuelle de lait. "
Les bêtes s'étaient serrées autour d'elle dans une symphonie de bées assourdissante pour un blessé. Suffit, leur dit-elle ?
Ce fût le silence.

Elle commença par le masser, puis lui fît des pansements. Il émit un long gémissement, ouvrit des yeux étonnés, car le décor lui était inconnu. Il se souvint de sa chute, voulut se lever, mais retomba sur sa couche épuisé.
Tout le monde désirait le voir, y compris les lépreux, car cet endroit appelé maladrerie accueillait les malades non contagieux, les autres s'isolaient dans la forêt ou dans des grottes et finissaient par y mourir d'épuisement rongés par la lèpre, de leurs membres ils ne restaient parfois que des moignons, d'autres la face mangée devenaient méconnaissables, leur seul bonheur un peu de lait donné par leur bonne Dame.


Jugeant l'état de Sire Savinien trop grave, ils décidèrent de 1e transporter à l'autre ladrerie à côté de l'abbaye tenue par les moines qui donnaient asile aux ribauds et vagabonds de passage, ainsi qu'aux blessés. Le lieudit " La Maladie " était connu de tous les miséreux (il y avait toujours pour eux une écuelle de soupe et un morceau de pain). ils espéraient avoir les grâces du Seigneur et bénéficier de quelques privilèges en soulte pour leur action.
Le jour commençait à poindre quand ils passèrent non loin du Château Du-Mée, là où vivait la jolie Dame Geneviève, les chevaliers étaient rentrés fourbus, mais fiers d'avoir repoussé l'envahisseur.
Du haut du donjon, Dame Geneviève avait suivi la bataille et apprit la disparition de Savinien. Souvent elle l'avait revu lors de ses promenades, il apparaissait toujours pour lui faire un petit signe, Dame Elise sa mère lui reprochait ces rencontres hors convenances. Cessez Geneviève, sinon j'aviserai votre père, il vous mettra au couvent.

Elle décida de fuir, déguisée en bohémienne, elle l'aimait, elle le délivrerait.
Elle réussit avec l'aide de sa duègne, qui lui était dévouée corps et âme à distraire les gardes en leur offrant du vin chaud suffisamment corsé pour les endormir, la manipulation du pont-levis devenait un jeu d'enfants, ils ne réalisèrent pas qu'ils se faisaient royalement duper, ils sellèrent le cheval que Dame Geneviève leur demandait.
Excellente cavalière, elle disparut dans la forêt en direction de la Maladrerie car son instinct lui disait que Savinien était là-bas.
Ayant parcouru à peu près une lieue, elle descendit de cheval et sans faire de bruit s'approcha du campement des lépreux, elle faillit pousser un cri quand elle aperçut Savinien étendu inerte sur une litière et qu'essayait de ranimer une femme brune entourée d'animaux. Un grand feu éclairait la clairière ce qui lui permit de suivre le déroulement des événements, quel ne fût son bonheur, quand elle vit Savinien sortir de son inertie, et essayer de se soulever, elle n'entendait pas se qu'ils disaient, mais réalisa qu'ils ne le gardaient pas là, un groupe s'apprêtait à partir. Ils installèrent Savinien sur un chariot, et s'engagèrent par des sentes tortueuses afin de ne pas être découverts par quelques manants qui pouvaient les détrousser, ou même les tuer.

Dame Geneviève descendit de cheval et silencieusement les suivit sans difficulté, la forêt elle la connaissait pour l'avoir moult fois parcourue lors des chasses.
Après une heure de marche, la petite troupe arriva en vue de l'Abbaye.
Elle attacha sa monture à un arbre, et continua le chemin à pied, en se demandant comment elle pourrait rentrer, sa tunique était en piteux état, il lui serait facile de passer pour une pauvre mendiante ; pour cela, elle devait se joindre aux vilains, et rentrer avec eux, s'appuyant péniblement sur un gourdin, elle sortit d'un fourré en gémissant, compatissants ils la prièrent de se joindre à eux, la charité en ce temps était courante et les monastères accueillaient toutes les misères du monde.

Ils frappèrent un grand coup dans l'huis, un moine tourier ouvrit une petite trappe verticale et les regarda tristement en voyant leurs mines, il comprit le malheur de ces pauvres hères, sans plus attendre la porte s'ouvrit, ils pénétrèrent dans une cour, l'hostellerie est en face, suivez-moi. Ils déposèrent Savinien dans une salle immense jonchée de paille où déjà reposaient des malades, dans un autre endroit les blessés. Deux moines s'approchèrent de Messire Savinien, jugeant son cas très grave, ils le transportèrent dans une cellule isolée du bruit, les manants ayant expliqué comment ils l'avaient trouvé, et surtout qui, il était ...
Dame Geneviève de loin observait la scène, tranquillisée elle se glissa dans un coin épuisée et reçu comme les autres mendiants une écuelle de soupe, et s'endormit.

Le lendemain matin quand elle s'éveilla, un peu éberluée de se trouver dans un pareil décor, reprenant ses esprits elle décida de chercher Savinien, furtivement elle se glissa dans les longs couloirs du cloître, rencontra des moines qui lui demandèrent " Que faites-vous là mon enfant " Je cherche le blessé que nous avons amené hier " Messire Savinien ". Je le connais, je voudrais vous aider à le soigner.
Je suis Dame Geneviève Du-Mée, je me suis sauvée du château, quand j'ai su qu'il avait disparu.
Venez, je vous conduis près de lui, il n'a toujours pas repris ses esprits. Votre présence ne peut qu'être salutaire.
Il était là étendu, tout pâle, gémissant doucement.
Elle refit les pansements, ce qui le réveilla. II la regardait tout ébaubi, que faisait-elle là au milieu de tous ces malheureux ? entrain de le soigner, il crût un moment qu'il rêvait ...!
" Vous " De suite, il se sentit mieux et voulu se lever, appuyez-vous et faisons quelques pas lui dit-elle. Jamais ils ne s'étaient vus de si près, un doux émoi les envahit.

P
endant ce temps dans les fiefs voisins, l'inquiétude régnait, Messire Savinien et Dame Geneviève avaient disparu mystérieusement.
On décida de consulter les oracles, les prêtresses les voyaient dans un lieu retiré du monde, là où il y avait des malades ; elles certifiaient les voir vivants.
Les oracles ne se trompant jamais, les habitant des deux châteaux se mirent en marche pour les retrouver. Chemin faisant, ils rencontrèrent la fille étrange accompagnée de son troupeau bizarre,
" Qui cherchez-vous, leur dit-elle...? "
" Messire Savinien et Darne Geneviève, les avez-vous vus quelque part ...? "


" Je vous le dirai si vous me promettez en bons chevaliers de protéger la veuve et l'orphelin, d'abroger le servage, de ne plus faire la guerre qui fait perdre des vies et détruit les récoltes, ce qui accentue la famine. "
" Je vous donne ce troupeau, ce sont des chèvres, appelez ce lieu " Les Caves aux Chèvres " en souvenir de moi, maintenant en route, ils sont tous les deux au Monastère sauvés par mes gens qui sont des lépreux, pensez aussi à eux.
Le message était clair, ils acceptèrent toutes ses conditions, heureux de retrouver les deux disparus.
Une cohorte des plus hétéroclites se mit en marche. En tête la fille étrange nimbée de lumière entourée par son troupeau, que suivaient Seigneurs, chevaliers, arbalétriers, manants, une véritable armée avançait vers le Monastère.
Les moines observaient dissimulés derrière leurs murailles, se demandant bien ce qui se passait. Croyant à une attaque, ils sonnèrent matines avant l'heure pour appeler au secours.
Quelle ne fût leur surprise quand ils virent les deux Seigneurs réunis, escortés de leurs serfs et des chèvres de la bonne Dame comme ils appelaient la femme " des Caves aux Chèvres ", qui secouraient les lépreux. En effet, elle se détacha du groupe et vint près du prieur " Frère Abélard pouvez-vous me dire si Messire Savinien et Dame Geneviève sont ici et vivants ..."

"
Que leur voulez-vous mon enfant ...? "
Les Seigneurs Du-Plessis et Du-Mée ont fait la Paix, ils se sont engagés à ne plus se battre et de créer une léproserie à cet endroit si leurs enfants sont vivants.
" Moine Fulbert, allez quérir nos jeunes amis "
Le cloître s'anima, les moines s'agitèrent en tous sens, une porte s'ouvrit, un couple apparût. Ce fût un moment de silence, puis un unanime cri de joie s'éleva vers le ciel au risque de faire trembler les voûtes séculaires.

Savinien boitait encore, soutenu par Geneviève, ils se précipitèrent vers leurs Pères en tendant les bras, fous de bonheur. Ignorant le pacte conclu entre les deux Seigneurs et voulant profiter de l'effet des retrouvailles, les deux jeunes tourtereaux demandèrent:
" Père je désire épouser Geneviève " " Père je veux épouser Savinien "
Tout le monde éclata de rire devant leurs déterminations, les épousailles furent accordées sur le champ et le retour aux châteaux des plus joyeux, du haut du donjon les deux mères attendaient pleines d'espoir.
Quelques semaines plus tard, les Seigneurs organisèrent de grandes fêtes pour célébrer le mariage. On vit gentes Dames et gentils Damoiseaux rire et chanter dans les sentiers, appeler par les cloches qui sonnaient à toutes volées. Devant cette foule en liesse, Geneviève et Savinien resplendissaient de bonheur.
Quand tout à coup, le ciel s'obscurcit comme si il allait y avoir un orage, un énorme éclair embrasa le château et doucement vint s'enrouler autour de la fille étrange et de son troupeau de chèvres.
Dans cette aura de lumière, elle s'avança près des nouveaux mariés, les regarda longuement et leur dit :
" Soyez heureux et protégez toujours les lépreux ". Elle fit un signe de la main en disant " Adieu " et s'éloigna.
Il y eut un coup de tonnerre et aussitôt au-dessus de la forêt, une comète traversa le ciel suivie de sa pluie d'étoiles et vint saupoudrer la robe de la fille étrange et de son troupeau qui disparurent en laissant à la place un tapis de fleurs où gambadaient au beau milieu deux petits chevreaux, qui vinrent se coucher aux pieds de Dame Geneviève Du-Mée et de Messire Savinien Du-Plessis.
Depuis ce temps, la légende racontée à la veillée par bon nombre de grands¬pères qui certifient avoir vu une dryade chanter et danser sous les futaies les nuit, de pleine lune de Mai.
Je ne sais, si, ce soir, je la verrai danser, car le chemin des Caves aux Chèvres a disparu, plus de haies sentant la mûre ou la prunelle, ni de talus couverts de georgerie.
Peut-être y a-t-il encore à l'heure du goûter, la gaie alouette qui, au ciel, fredonnerat sa chanson ?
La plaine déserte pense et se noie dans un flot de brume. Seules les étoiles embrasent la nuit.



Je reviens sur mes pas, le village s'est endormi, là-bas se cachant dans les ombrages, une maison blanche, vieille demeure de mes aïeux qui abrita mes peines et mes jeux. Encore une fois les souvenirs d'autrefois resurgissent, moi, l'exilée de ma terre, tôt ou tard on revient toujours à ses racines, pour y retrouver le merveilleux d'une époque.


                A TRAVERS SENTES ET PLAINES

                Bernadette PAILLARD

                17 Juillet 1998

 


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